Putes Et Soumises

Sébastien Fontenelle  • 6 février 2010
Partager :

À l’inverse, notamment, des courageuses nanas de l’asso dont le nom proclame haut et fort qu’elles ne sont ni prostituées, ni asservies (et dont l’insoumission, de fait, peut aller jusqu’à l’intégration d’un gouvernement où leur fonction, de haut prestige, sera, notamment, de prodiguer du soutien au chef de l’État français & Sons , en même temps que d’exiger contre «les cités» plus de fermeté (le tout, enveloppé dans un «parler-banlieue» qui naturellement ravit les journaleux) – à l’inverse, donc, des libres meufs qui osent dire tout haut, sur la crimeuse (et volontiers mahométane) plèbe des «quartiers», ce qu’éructe la réaction depuis désormais tant d’années qu’on ne les compte plus guère: les musulmanes voilées seraient plutôt, quant à elles, vues, notamment, depuis la «gauche», dite «républicaine» (et qui l’est sans doute, mais guère plus que mon cul n’est sur la commode), où la lutte des classes, tu l’auras noté, le cède souvent à celle des places (d’où ses crânes tribuns conserveront quelques prébendes), putes et soumises – pauvres d’elles.

C’est du moins ce qui ressort des tendineuses réactions, après l’annonce qu’une candidate en foulard se présentait aux régionales sous les couleurs du NPA, de quelques hautes figures de cette noble et digne «gauche», où l’on hisse la Résistance (avec un «R», comme dans «pRouuuuuve que tu existes» ) jusqu’à jurer que jamais plus on ne s’alliera, mais plus jamais, entendez-vous, avec les «socialistes» – sauf, il va de soi, au second tour; mais convenez tout de même qu’il faut des couilles d’un volume pamplemousseux, pour tenir ainsi tête aux libéraux de Solférino.

Jean-Luc Mélenchon, dit Méluche, dont l’apport à la construction d’une «gauche» nouvelle enfin décidée à ne plus s’allier avec l’ancienne qu’aux seconds tours (c’est dire, tu conviendras, si le gars révolutionne) s’est jusqu’à présent condensé dans la répétition que si que les trotskystes avaient pas refusé comme des gros salauds qu’on supplétive Aubry (mais jamais avant les seconds tours) la vie serait moins difficile – Méluche, disais-je, a déclaré comme ça que la candidature de «la jeune Ilham Moussaïd» était, je cite, «un peu racoleuse» .

Déclaration d’où Marianne , qui a bien sûr mis de la gourmandise à recueillir cette parole d’évangéliste républicain, ti(t)re, avec une exquise délicatesse, mais non sans raison, car c’est bien ce qu’elle veut dire, que: «La candidate voilée du NPA relève du racolage» .

Ilham Moussaïd et son parti racolent , donc.

Et le choix d’un tel mot n’est sans doute pas complètement anodin: mâme Dupont ne saurait manquer, sans trop forcer la pente où la mènent ses convictions, d’en tirer la conclusion, quant à elle, que, dis, mon Lucien, t’as vu la pute?

Non mais t’as vu comment qu’elle aguiche le votant?

Naturellement: «le chef de file du Parti de gauche» niera qu’il ait voulu faire, par l’emploi de l’adjectif «racoleuse» (qui fait aussi un substantif), une quelconque suggestion – comment cela, comment cela, depuis quand le racolage renverrait je vous prie vers la prostitution?

Au reste, soyons justes: il use d’autres arguments, pour stigmatiser une candidat(ur)e qui décidément offusque les hommes (et femmes) de bon goût – et notamment de l’argument qu’Ilham Moussaïd, outre qu’elle met sa féminité à l’encan d’une opération «racoleuse» , est, de surcroît, soumise.

Plus précisément: elle affiche un «signe de soumission patriarcale» – son foulard, bien sûr.

Agade, Lucien, comment qu’elle est soumise , la pute – et qu’attend Fadelamara pour dénoncer la dégueulasse?

Plus vastement, et tout du long de son entretien avec Marianne (de sa jeunesse), Méluche fait valoir, pour la promotion de son point de vue, des arguments d’une si rare pertinence, qu’ils devraient, en toute logique (et ne doutons pas que c’est en effet ce qui adviendra), lui valoir sous peu une ovation de l’imprécateur du Figaro (comme il a ce soir les honneurs d’une bulle fourestale), ne serait-ce que pour cette phrase, et pour ce qu’elle justifie a priori (comme a posteriori ) de vilenies: «En ce moment, on a le sentiment que les gens vont au devant des stigmatisations: ils se stigmatisent eux-mêmes – car qu’est-ce que porter le voile, si ce n’est s’infliger un stigmate – et se plaignent ensuite de la stigmatisation dont ils se sentent victimes» .

(Hhhhh…)

Ces mots sont importants (comme dirait un de mes potes, islamo-gauchiste, mais sympa): importants pour les phobiques, veux-je dire, car ils forment au fond le message que si les mahométan(e)s «se sentent victimes» d’une «stigmatisation» (qui par conséquent pourrait bien n’exister que dans leur imagination islamisée, comme tu l’auras compris – sans quoi Méluche aurait plutôt énoncé que ces gens sont victimes de quelques préjugés), mâme Dupont?

C’est leur faute!

Et non celle des fidèles républicains (ah, les bons camarades, et laïques, avec ça) qui les stigmatisent.

La chose, naturellement, ne s’arrête pas aux musulman(e)s, et se décline à l’envi – pour la plus grande satisfaction de qui aime se faire des peurs, et qu’on les lui entretienne: te l’avais-je point dit, mon Lucien, que si tous ces gens qui ne sont pas tout à fait comme nous étaient moins ostensibles, on s’en défierait un peu moins?

(Le gars se promenait avec sa kippa?

Et il s’est plaint d’être un peu ostracisé par des antisémites?

Sans déconner, il a osé, l’impudent?

Mais attends, aaaaattends, est-ce qu’il ne l’avait pas un peu cherché?)

Tout navre, dans ce qu’avance Mélenchon – jusqu’à son invocation, burlesque, pour fonder sa démonstration que rien n’est si nocif qu’un foulard en politique, des «leçons de l’histoire de France» et de «trois siècles de guerres de religions» (le minuscule détail que l’absolutisme régalien où ces guerres s’ancraient a évolué au fil des ans vers plus de convivialité semble avoir échappé au héraut de la République); ou jusqu’à celle du «cas du syndicat des transports indiens»«conducteurs et bagagistes ne parvenaient jamais à faire la grève ensemble parce que les conducteurs étaient brahmanes et les bagagistes des intouchables» – moi, n’est-ce pas, je veux bien tout ce qu’on veut, et notamment qu’on me suggère que la guerre des castes relève seulement de la religion: faudra juste qu’on en prévienne les dalits de New Delhi (qui devraient ressentir du soulagement à la révélation que leur mal est moins profond qu’ils ne l’ont cru), et, plus près de chez nous, les sans-papiers en grève.

(Accessoirement: dédions ce billet à feu Oscar Romero, et aux théologiens de la libération – et pardonnons-leur, Seigneur, s’ils n’avaient pas suffisamment lu Mélenchon…)

Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 6 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don