Les socialistes bottent en touche

À La Rochelle, le PS a évité la véritable confrontation d’idées. Le rugby étant de saison, c’est comme si François Hollande voulait transformer l’essai manqué de Ségolène Royal. On ne change pas une équipe qui perd.

Michel Soudais  • 6 septembre 2007 abonné·es
Les socialistes bottent en touche

François Hollande avait promis d’ « aller jusqu’au bout de l’explication de la défaite » . La promesse, faite à quelques heures de l’ouverture de l’université d’été du PS, n’a pas vraiment été tenue. Certes, l’ambition du rendez-vous estival des socialistes se limitait à établir un « diagnostic pour la rénovation » . Un contrat plutôt bien rempli. Le choix des sujets des ateliers et des tables rondes a permis de balayer l’essentiel des sujets qui méritent un état des lieux, après la séquence électorale du printemps. Du bilan électoral de la gauche à l’état de la France, en passant par le comportement des nouveaux électeurs, les fractures géographique, sociologique et culturelle, le rôle des médias, celui des sondages, le vote écologiste ou celui de l’extrême gauche, l’interrogation sur l’existence du centre, ou bien encore l’échec électoral du Front national, le menu offert aux militants était copieux. Et a satisfait la plupart d’entre eux, ravis de parfaire leur formation. Un sentiment renforcé par la présence de nombreux intellectuels et chercheurs, invités avec le titre de « grand témoin » à introduire ces discussions.

Mais réflexion n’est pas nécessairement synonyme de débat. L’absence de syndicalistes et de responsables associatifs dans ce casting très universitaire a pu donner l’impression que « Sciences-Po fait la rénovation du PS » , suivant l’expression féroce de Bruno Julliard, le président de l’Unef. Et le refus d’inviter les responsables les plus critiques du moment, qu’il s’agisse de Manuel Valls, député maire d’Évry, ou Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l’Essonne, fait douter de la volonté réelle de la direction du PS d’ouvrir le débat sur le fond. La suppression de la librairie, par crainte que l’accumulation sur un même comptoir d’essais critiques sur la campagne de Ségolène Royal et l’évolution du PS ne donne l’image d’un parti divisé, n’est pas de meilleur augure. Par cet acte de censure, assumé par Jean-Christophe Cambadélis, organisateur en chef de ce rassemblement, la direction du PS ne pouvait mieux signifier qu’elle entend éviter toute confrontation fracassante. Pour mieux imposer ses explications de la défaite. Et éviter toute remise en cause susceptible de contrarier son orientation profonde.

Illustration - Les socialistes bottent en touche

François Hollande excelle dans cet exercice. Maître dans l’art de botter en touche, le Premier secrétaire du PS s’est livré dans son discours de clôture, dimanche, à un surprenant résumé des critiques sur sa gestion et les campagnes électorales du printemps : « En 2002, nous aurions […] perdu parce que nous n’aurions pas été à gauche et, cette fois-ci, parce que nous l’aurions trop été. » Ce balancement rhétorique artificiel ­ qui reproche au PS et à sa candidate d’avoir mené une campagne gauchiste ? ­ n’a qu’une fonction : affirmer que le PS ne déviera pas de sa ligne. Et que, s’il faut engager « un changement bien plus qu’une rénovation », celui-ci vise avant tout à accélérer les mutations idéologiques et organisationnelles initiées jusqu’ici à dose homéopathique.

À cette fin, le Premier secrétaire s’est d’abord appliqué dimanche à minorer l’ampleur de la défaite. Quand « la lucidité » , dont il se revendique, exigerait de s’interroger sur les raisons du score historiquement faible de Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy, au second tour (46,97 %), le patron du PS préfère rendre « hommage » à sa candidate, rappeler que « le courage et l’enthousiasme » n’ont pas manqué dans cette campagne, se féliciter de la « participation exceptionnelle des Français au scrutin » , du « score honorable » du premier tour et des « 17 millions » de voix rassemblées au second. Sans négliger de rappeler « le sursaut qui a permis au PS de gagner près de 60 sièges au soir des élections législatives » .

Comme il lui faut bien expliquer néanmoins pourquoi les socialistes ont « perdu l’échéance politique majeure » et connu leur « troisième échec de suite à l’élection présidentielle » , François Hollande pointe trois raisons à cette défaite. Tout d’abord, un « défaut de compréhension de la société » . Dans un monde en pleine évolution (individualisation, vieillissement, mondialisation, etc.), le PS n’aurait pas assez changé. Un « défaut de clarté » , ensuite. Trop attaché à la défense de valeurs, le PS n’aurait pas avancé assez de « propositions concrètes » permettant d’améliorer la vie quotidienne. Un « défaut de rassemblement » , enfin, qui lui permet d’incriminer une nouvelle fois les « divisions sur le référendum européen » , comme si celles-ci avaient davantage déconsidéré les socialistes aux yeux d’une majorité d’électeurs de gauche que l’engagement du PS aux côtés de la droite en faveur du « oui ».

Au nom de ce constat, François Hollande appelle à des « changements profonds » . Le premier concerne le parti lui-même, qui doit changer d’ « état d’esprit » et renouer avec une discipline et un patriotisme de parti : « Respect du travail collectif, respect des décisions prises, respect du PS. » Cela passe par un « changement des statuts et des règles de vote » au sein du PS qui « conjugue démocratie et efficacité » . En clair, un peu moins de proportionnelle et un peu plus de scrutin majoritaire. Auparavant, devant la presse, François Hollande avait qualifié le bureau national, instance de débat hebdomadaire, de « lieu totalement dépassé » .

S’il refuse de toucher au nom du parti, pour mieux tacler Manuel Valls et les « rénovateurs » qui le réclament, oubliant qu’il l’avait lui-même envisagé, le 13 mai, dans l’émission de Christine Ockrent, François Hollande abonde dans leur sens, sans le dire, en proposant d’écrire « une nouvelle déclaration de principes » . Un chantier qui n’est pas seulement symbolique. L’actuelle déclaration, qui date du congrès de Rennes, se réfère à l’économie mixte et stipule que le PS « met les méthodes du réformisme au service de l’idéal révolutionnaire » . Sa réécriture ne pourrait que consacrer et accélérer une mutation idéologique dont La Rochelle a donné quelques aperçus.

Finis les 35 heures pour tous, la retraite au même âge de tous les actifs, voire les régimes spéciaux de retraite. « Le temps n’est plus à la diminution uniforme du temps de travail mais à son organisation sur toute la vie professionnelle » , estime François Hollande.

« Flexibilité, le mot ne me gêne pas » , a dit de son côté Bertrand Delanoë, alors que le mot, dans la bouche de Ségolène Royal pendant la campagne, avait déclenché l’ire de l’aile gauche du parti. « Nation », « travail », « ordre » ne sont pas plus tabous, assure encore le Premier secrétaire. D’ailleurs, il soutient que « les socialistes militent […] pour une contrepartie d’activité pour toute prestation versée » , quand cette application du « donnant-donnant » cher à Royal n’a été adoptée dans aucun congrès. Affirme aussi que « la solidarité n’est pas faite pour quelques-uns ­ les exclus, les pauvres ­ ou pour une minorité, mais pour une très grande majorité et au bénéfice de tous » .

Un discours qui ressemble « étonnamment aux thèmes que Ségolène Royal a avancés dans la campagne et qui parfois ont choqué » , comme l’a noté Jean-Louis Bianco. Et qui s’aligne un peu plus sur les partis sociaux-démocrates européens, eux-mêmes en pleine déconfiture. Drôle de façon d’aller jusqu’au bout de l’explication de la défaite.

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