Où veulent-ils en venir ?

Que reste-t-il à négocier de la réforme des régimes spéciaux de retraite ? Et de la loi Pécresse sur les universités ? Ces deux dossiers relèvent d’une même logique orientée vers les marchés financiers et la propriété individuelle.

Thierry Brun  et  Jean-Baptiste Quiot  • 29 novembre 2007 abonné·es
Où veulent-ils en venir ?

Cette réforme, je l’ai promise, je l’ai tenue » , s’est félicité Nicolas Sarkozy, alors que le mouvement social contre la réforme des régimes spéciaux de retraite a pris fin vendredi 22 novembre. Sur la défensive, les grandes confédérations syndicales, en particulier la CGT, ont obtenu l’ouverture d’une période de négociations qui pourrait durer un mois, tout en maintenant la perspective d’un nouveau mouvement. Qu’ont-elles à gagner de ces tables rondes tripartites avec les représentants du gouvernement et les directions de la SNCF, de la RATP, d’EDF et de GDF ?

Illustration - Où veulent-ils en venir ?


La présidente du Medef, Laurence Parisot, et le ministre du Travail, Xavier Bertrand, en septembre 2007.
GUILLOT/AFP

Cette question vaut également pour la volonté de l’Unef de dialoguer avec le pouvoir à propos de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités. Un dialogue à la marge puisque l’essentiel des réformes ne serait pas remis en cause. Qu’y a-t-il alors à négocier ? Où le gouvernement veut-il en venir ? Sans doute à ce qui relève, dans les deux cas, d’une même logique financière et semble inéluctable : l’abandon de l’intérêt collectif aux intérêts marchands à travers la capitalisation du système des retraites et la privatisation des universités.

En ce qui concerne les régimes spéciaux, le gouvernement a renvoyé aux négociations d’entreprise quelques « principes d’harmonisation » laissant en suspens l’avenir du régime général par répartition. Les directions d’entreprise ont notamment proposé la « création d’une retraite complémentaire » . Loin d’être un nouvel avantage, celle-ci cache une autre réalité : le choix d’un système par répartition a minima et le développement d’un système par capitalisation sous la forme de fonds de pensions. Au cours des premières réunions de négociation, la même promesse a ainsi été faite d’un complément de retraite sous la forme d’un plan d’épargne pour la retraite collectif (Perco), des « fonds de pension à la française » qui ne disent pas leur nom et siphonnent l’argent des régimes par répartition pour l’orienter vers les marchés financiers. Cette orientation ne doit rien au hasard : les Perco ont été créés en 2003 par un certain François Fillon, en même temps que la réforme du régime de retraite de la Fonction publique, et sont une des pièces maîtresses des propositions gouvernementales poussées par les entreprises.

Le calcul est simple. L’adossement progressif des régimes spéciaux de retraite au régime général puis le passage de l’ensemble à 41, voire à 42 annuités de cotisation d’ici à 2012 ne régleront pas le problème du financement des retraites. Comme l’indique le récent rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR), les réformes de 1993 pour les retraites du privé et de 2003 pour celles de la Fonction publique n’ont en rien amélioré la situation. « Les comptes à court terme de la branche vieillesse, en particulier ceux du régime général, sont plus dégradés que prévu avec un déficit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse [Cnav] de 1,9 milliard d’euros en 2006, comme en 2005, qui devrait atteindre 4,6 milliards en 2007 et 5,7 milliards en 2008. » En revanche, les réformes successives, y compris celle sur les régimes spéciaux, ont pour effet de baisser significativement le niveau des pensions (voir témoignages pages suivantes). « Les personnes ont davantage tendance à liquider leurs droits à la retraite dès qu’elles le peuvent. En particulier, la surcote n’a, pour l’instant, pas eu l’effet escompté sur la prolongation de l’activité au-delà de 60 ans » , constate aussi le COR.

Faire cotiser 40 annuités puis 41, c’est donc contraindre les citoyens à accepter l’idée d’une retraite peau de chagrin pour mieux les pousser à s’orienter vers les fameux Perco. On est loin des récentes recommandations du conseil d’administration de la Cnav, dans une contribution au gouvernement, réalisée « dans le cadre du rendez-vous 2008 » prévu par la réforme Fillon de 2003. À l’opposé de la vision présidentielle, la Cnav réclame des « ressources supplémentaires » qui permettraient de « consolider durablement » le régime général par répartition : « Il en va de la confiance que les salariés doivent pouvoir placer dans le principe de la répartition, faute de quoi les jeunes générations risquent de s’orienter majoritairement, lorsque leurs revenus le permettent, vers les dispositifs individuels par capitalisation. » Un constat inaudible pour les dirigeants des entreprises publiques, qui ont invariablement défendu le principe de retraite complémentaire par capitalisation. « Pour augmenter le pouvoir d’achat des futurs retraités » , ont argumenté les dirigeants de la SNCF et de la RATP, non sans démagogie, car ces systèmes nécessitent une forte capacité d’épargne. Sans parler du risque : contrairement au régime par répartition, il est impossible de garantir le niveau de la rente après sa liquidation dans un tel système.

Récemment encore, Nicolas Sarkozy a réaffirmé que la réforme des régimes spéciaux s’imposait au nom de l’équité et du pouvoir d’achat. S’est-il posé la question de savoir qui est en mesure de consentir des sacrifices considérables en termes de pouvoir d’achat pour immobiliser une épargne pendant trente ans, avec l’incertitude des marchés financiers ? La réponse est dans la politique de soutien à l’épargne privée.

En ne cédant pas sur l’allongement de la durée de cotisation à 40 annuités, l’introduction d’une décote (un malus pour les salariés n’ayant pas atteint cette durée) et l’indexation des pensions sur les prix, Nicolas Sarkozy est en passe de remporter une victoire politique décisive. Et en faisant passer un système de retraite par capitalisation pour un signe d’ouverture et de dialogue, il remporte également une grande victoire idéologique auprès de l’opinion. Le gouvernement peut envisager avec sérénité la suite de la réforme. En effet, après la défaite des cheminots, qui constituent le bastion le plus combatif, la voie est libre pour l’allongement de la durée de cotisation prévue en 2008 par la réforme Fillon. Les syndicats, la CGT et la CFDT en tête, ont préféré négocier aujourd’hui pour mieux préparer la jonction privé-public dans la lutte contre cette prochaine réforme du régime général.

Cette stratégie a-t-elle un avenir face à Nicolas Sarkozy, qui bénéficie aussi du soutien du capitalisme international ? Pas sûr. En témoigne l’intervention devant la commission Attali d’Angel Gurria, secrétaire général de l’OCDE, qui réunit les pays les plus riches de la planète. « Des réformes ont été engagées sur les retraites, sur la santé, sur la réduction du nombre de fonctionnaires, sur la qualité des finances publiques, mais on sait qu’elles ne constituent qu’un début et qu’il faudra aller plus loin » , a-t-il déclaré. Alors, où veulent-ils en venir ? se demande-t-on. La réponse est claire : encore « plus loin » dans la casse sociale.

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