Idées / Historique du matérialisme

Serge Moulis  • 30 avril 2008 abonné·es

Dans une époque où le principe de laïcité est mis à mal et semble devoir être défendu, Pascal Charbonnat met à notre disposition une histoire très complète de l’appréhension non déiste du monde par l’homme : les philosophies matérialistes ont un effet déterminant sur l’existence d’un espace politique permettant l’émergence de ce principe, seule véritable porte d’entrée, pour les nations, dans une société démocratique.

Si le matérialisme a eu diverses acceptions, il n’est jamais une conception matérielle de l’humanité et du monde, mais une approche du pourquoi et du comment des choses sans faire appel à une Volonté supérieure, infinie et toute-puissante.

Ce mouvement prend naissance plusieurs siècles avant notre ère avec Thalès, Héraclite, Démocrite, Épicure… avant de présenter une « extinction » parallèle à celle de la science jusqu’au XIVe siècle, période où seule une tentative de séparation de la philosophie et de la théologie peut voir le jour.

La révolution économique du XVe siècle permet une ébullition intellectuelle et une relative autonomie des penseurs vis-à-vis de l’Église : le rejet de toute transcendance dans les sciences de la nature permet l’éclosion du naturalisme physique de Giordano Bruno, ou méthodologique de Francis Bacon. L’apogée du naturalisme est atteint au XVIIe siècle, avec trois courants – irréligieux (Cyrano de Bergerac), empirique (Hobbes, Bayle, Locke) et atomiste (Gassendi, Boyle) – et deux « grands » penseurs (Descartes et Spinoza).

Le véritable matérialisme renaît au XVIIIe siècle : la conception déiste de l’origine reste majoritaire (Voltaire, d’Alembert). Se constitue aussi une tendance athée véritablement matérialiste avec, en première ligne, Diderot, bien sûr, mais aussi, de par son originalité, l’abbé Meslier, curé de village dont l’œuvre étonnante n’a été connue qu’après sa mort…

Au XIXe siècle, le matérialisme se partage en deux courants qui s’ignorent : l’un qui s’appuie sur la toute nouvelle théorie de l’évolution (physiologie philosophique). Le second, avec l’industrialisation, se fonde sur une nouvelle philosophie de l’origine sociale de l’homme (idéalisme philosophique), avec Marx et Engels. Au XXe siècle, le matérialisme dialectique est durement touché par le stalinisme alors que le matérialisme évolutionniste est conforté par l’avancée des sciences, avec lesquelles il tend à se confondre : il devient la seule façon raisonnable de comprendre l’origine et l’évolution de la matière, qui est seule à l’origine de tout. Reste à rapprocher philosophes et scientifiques : c’est la gageure de notre temps.

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