Loi Bichet ébréchée

Une retouche de la loi régissant la distribution de la presse permet aux éditeurs de se désengager des messageries. Un risque pour le pluralisme ?

Jean-Claude Renard  • 14 juillet 2011 abonné·es

On s’y attendait depuis les états généraux de la presse de 2009 : la loi Bichet a été modifiée. Créée en 1947, dans la lignée du Conseil national de la Résistance, régissant la distribution des journaux, elle pose le principe de la diffusion, de l’accès à l’information pour tous, avec la mise en place de sociétés de coopératives de messageries (aujourd’hui Presstalis et les Messageries lyonnaises de presse, assurant respectivement 75 % et 25 % de la distribution ; 100 % des quotidiens nationaux pour Presstalis).


La proposition de modifier la loi Bichet, déposée par les sénateurs Jacques Legendre (UMP) et David Assouline (PS), a été votée par le Sénat, en mai dernier, et elle est passée précipitamment à l’Assemblée nationale ce 5 juillet. Cette modification, dans un alinéa, prévoit un changement de la gouvernance du système de distribution, avec un Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) renforcé notamment par l’arrivée d’éditeurs de presse, adossé à une autorité indépendante de régulation de la distribution, chargé de faire appliquer les ­directives. En jeu : la gestion des titres et des quantités, et la rémunération des acteurs de la vente.


La loi vise également la régulation de la distribution. Elle entend redéfinir « les conditions d’une distribution non exclusive par une messagerie de presse » et « les conditions d’une distribution directe par le réseau des dépositaires centraux de presse sans adhésion à une société coopérative de messageries de presse ».


Si Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture et de la Communication, y voit une loi « légèrement toilettée », sa modification ouvre néanmoins une brèche dans le principe Bichet. Elle offre aux éditeurs la possibilité de se désengager des messageries, et de confier à quiconque, partiellement, la distribution de leurs titres.


Le Syndicat du livre dénonce une atteinte à l’impartialité de la distribution, aux garanties du pluralisme et à un égal accès de tous à la presse. Avantage aux costauds.


Pour Laurent Jourdas, délégué CGT, « à terme, c’est le système égalitaire, avec son groupage des titres, la distribution sur l’ensemble du territoire et la répartition des coûts, qui va voler en éclats. Quelle que soit la force économique des titres, depuis 1947, tous étaient distribués dans l’esprit de solidarité. Le risque avec la fin de l’exclusivité, c’est : je garde ce qui est rentable et juteux ; je laisse aux messageries ce qui est coûteux. Car servir Paris ou Marseille n’a pas le même prix que distribuer Aurillac. On risque de casser le modèle économique qui fonctionnait puisque tout le monde jouait le jeu de l’égalité. Là, certains titres n’auront plus les moyens d’être partout et seront contraints à faire des choix. C’est donc la diversité de la presse qui va en pâtir ». 
À Presstalis, on estime que « la loi conserve ses garde-fous. Les menaces ne sont pas immédiates », même si « on reste vigilant ». La messagerie a, en effet, plus à craindre des quotidiens nationaux qui seraient tentés de sortir du système pour un autre mode de distribution, basé sur celui de la presse quotidienne régionale.


Avec en arrière-fond le débat des aides à la presse, la CGT-SGLCE a mené en attendant une grève empêchant la distribution des journaux les 5 et 6 juillet. Et compte obtenir des garanties signées et attaquer en justice à la moindre anomalie puisque la loi, modifiée, n’en continue pas moins d’exister.

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