Dans les secrets de la guerre du Kippour

Marius Schattner et Frédérique Schillo proposent une histoire inédite de la guerre israélo-arabe de 1973.

Denis Sieffert  • 19 septembre 2013 abonné·es

En Israël, la guerre d’octobre 1973 a été vécue comme un traumatisme. Certes, en grande partie grâce au pont aérien établi par les États-Unis, l’armée israélienne a fini par repousser l’offensive égypto-syrienne, mais le mythe de l’invulnérabilité a volé en éclats. Pourquoi et comment l’état-major et le gouvernement de Golda Meir se sont-ils laissés surprendre par l’attaque des armées arabes en ce jour de Kippour, principale fête du calendrier juif ?

L’enquête menée par le journaliste Marius Schattner et l’historienne Frédérique Schillo s’appuie sur des documents américains déclassifiés et des archives israéliennes inédites, et répond en grande partie à cette question. Au cœur du récit, apparaît un personnage digne des meilleurs romans de John le Carré. Ashraf Marwan – c’est son nom – avait, dès 1969, offert ses services à l’ambassade d’Israël à Londres. L’homme avait rapidement donné des gages d’efficacité, au point que les services israéliens n’avaient pas tardé à le considérer comme « le meilleur informateur de l’histoire ». Ils ignoraient encore que Marwan – nom de code « l’Ange » – n’était autre que le gendre de Nasser. Après la mort du raïs, en 1970, il était devenu un proche assistant d’Anouar el-Sadate. C’est dire si ses informations étaient de première main. Mais l’affaire s’est compliquée au moment du déclenchement de l’offensive égyptienne du 6 octobre 1973. Car l’espion, habituellement prompt à renseigner ses interlocuteurs israéliens, a gardé le secret jusqu’à la veille au soir de l’attaque, empêchant l’organisation de la riposte. D’où cette question : Marwan n’était-il pas un agent double ? L’éloge prononcé à ses funérailles par Hosni Moubarak, peu après une mort plus que suspecte, à Londres en 2007, le laisse supposer. Mais le livre de Schattner et Schillo soulève d’autres questions. Comment l’état-major israélien a-t-il pu accorder une confiance aussi aveugle à ce seul informateur ? Et comment le gouvernement de Golda Meir a-t-il pu à ce point se montrer imprévoyant ?

Les auteurs nous plongent dans le secret des débats au plus haut niveau de l’État, mais aussi au cœur d’une concurrence dévastatrice entre les renseignements militaires et le Mossad. Mais, peut-être par-dessus tout, il y a cet aveuglement né de la victoire éclair de juin 1967, et le diagnostic erroné d’un gouvernement qui, à la veille d’élections législatives, finit par croire sa propagande qui répète que « tout va bien ». Livre gigogne, à la fois roman vrai d’espionnage et radiographie du système politique israélien, la Guerre du Kippour n’aura pas lieu réserve aussi quelques révélations édifiantes sur la relation entre Israël et les États-Unis, dont un portrait saisissant d’un autre personnage au double visage : Henry Kissinger.

Idées
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