Grémillon en 1944 (À flux détendu)

Christophe Kantcheff  • 6 novembre 2014
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Grémillon en 1944 (À flux détendu)

En 1944, Jean Grémillon est un cinéaste populaire. Il a connu de beaux succès avec Gueule d’amour (1937), Remorques (1939) ou Lumière d’été (1942). Il a tourné avec les plus grandes stars, Jean Gabin et Michèle Morgan. Mais, en août de cette année-là, sa préoccupation est ailleurs. Il veut rejoindre sa Normandie natale, où vivent sa mère et sa sœur, et filmer Saint-Lo, Caen ou Bayeux après les effroyables batailles qui ont suivi le débarquement des alliés. Le film, qui dure presque une heure, s’intitule Le 6 juin à l’aube.

Si le tournage dut se faire en deux temps espacés, la sortie du film fut plus difficile encore. Écourté de 12 minutes, Le 6 juin à l’aube fut en fait à peine vu et vite oublié… Jusqu’à aujourd’hui, où POM films, en coédition avec les éditions de l’Œil et La Traverse, le sortent dans un livre-DVD très soigné, dans sa version intégrale et restaurée. Quelques brèves images de la Normandie paisible, celle que Grémillon avait jusque-là connue, précèdent celles du déluge de feu et, à partir d’une carte, le récit détaillé des opérations. Puis vient le présent du film : ce qui « reste » au terme de 70 jours d’une guerre totale, à savoir d’immenses étendues de ruines, et l’odeur de la mort qui perdure.

Comme le dit Paul Vecchiali dans un des suppléments, Grémillon filme les églises et les bâtiments détruits de la même manière que les personnes qu’il rencontre. Avec la même attention. Ces survivants ont aussi en eux les marques de la désolation, comme les murs défoncés. Toutefois, des individus se relèvent. Certains sont interviewés par Grémillon, des gens simples qui ont un courage de géants. Le 6 juin à l’aube est une élégie funèbre et poétique, dont le cinéaste a écrit le commentaire et composé la musique, à la beauté lyrique. C’est toutes les guerres que vise le cinéaste, dit Jean-Marie Straub dans un autre supplément. En effet, les ruines de Saint-Lo ne sont-elles pas celles d’Alep ou de Gaza ?

Culture
Temps de lecture : 2 minutes
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