Natalia M. King : Les saisons de l’amour

Natalia M. King poursuit la tournée de Bluezzin T’il Dawn. Neuf titres inspirés et envoûtants sur les joies et les tourments du cœur. Rencontre.

Ingrid Merckx  • 26 octobre 2016 abonné·es
Natalia M. King : Les saisons de l’amour
© Photo : Amine Landoulsi/Anadolu Agency/AFP

Elle dit en riant qu’elle est « old school » parce qu’elle adore Miles Davis et qu’elle est fan d’Ellington. Mais Natalia M. King entend tracer sa voie – « my way ». Comme dans cette reprise de « Don’t explain », de Billie Holiday, un des deux standards qui figurent sur son dernier album, Bluezzin T’il Dawn – du blues avec deux « z », comme « jazz ».

« C’est l’histoire d’une femme qui découvre du rouge à lèvres sur le col de son mari. Billie Holiday chante la femme triste, résignée. Je me suis plutôt inspirée de Nina Simone mais je voulais donner ma version : résistante, rebelle, de l’air de celle qui lui jette son col à la figure ! » Plus soul, pour celle qui a fait ses classes sur Hendrix, Joplin, Aretha Franklin, qui crachait son venin et cherche maintenant à marcher sur l’eau (« Traces in The Sand »). Plus groove aussi dans ce disque qui dépeint les -différentes saisons de l’amour. Soit neuf titres ni trop fleuris ni trop lyriques. Natalia M. King parle d’amour comme d’autres de condition humaine. Avec un air de complicité mystique, de mystère et de profondeur. Yeux fermés quand elle chante, elle les ouvre sur les dernières notes, rompant l’envoûtement d’un regard rieur.

Elle n’a pas grand-chose d’une midinette. Ni la dégaine : pantalon, chemisier sur une silhouette menue et sans talons, bonnet rasta gris fétiche. Ni le parcours. À son arrivée à Paris, en 1998, c’était plutôt la vie de bohème. « Sœur » noire de Madeleine Peyroux, elle se souvient de ces années comme d’une époque dure où elle jouait de la guitare pour s’offrir une bière. « Mais il y avait bien plus de solidarité entre musiciens. C’était la France championne du monde de foot, black-blanc-beur, d’avant Sarkozy… » Née à Brooklyn en 1969, elle est venue vivre à Arles par amour. « L’amour est passé, l’amour de la ville est resté… » Elle observe la présidentielle -américaine avec crainte. Lâche : « Ça n’est pas parce que je suis noire, mais Obama est le meilleur président que l’Amérique ait connu. »

Sur scène, elle a une présence folle. De quoi faire passer – malgré elle – les quatre jeunes qui l’accompagnent pour des petits frères. Pas le même groupe que pour l’enregistrement. Classique. Elle dit avoir dû changer de « stratégie » : « Sinon, nous ne jouerions pas au Club Étoile. » Qu’elle découvre avec gourmandise ce matin de veille de concert, ouvrant le rideau sur une scène nue occupée par un accordeur de piano. Elle a la guitare discrète. À la rigueur, elle préfère la poser pour pouvoir tout donner quand elle chante. Question d’intensité de flux. Elle articule « re-mar-quable » comme Nina Simone. Pour elle, toute chanson part des mots. Elle s’accompagne à la guitare cependant qu’elle élabore mélodie, contre-chants, accompagnements. Comme pour « Baby Brand New », blues qui digresse en « Take Five »… « Vous voyez Snoopy quand il est content et secoue la tête en arrière ? “Baby Brand New”, c’est ce moment-là de l’amour, où on se sent neuf et gai comme dans ce morceau de Brubeck. »

Elle confie, pudiquement, être arrivée à l’âge où il ne faut plus tout demander à l’autre. Elle voudrait rencontrer Sonny Rollins. Un de ses dieux. « Il n’y aura plus de géant après lui. Ce sera comme… quand Johnny Halliday mourra ! », provoque-t-elle soudain, ne trouvant pas d’autres icônes hexagonales à se mettre sous la dent. Et Iggy Pop ? « Il restera sous forme de zombie sorti d’un film de Tim Burton », rit-elle franchement, traversée par la légèreté au sortir du club. Elle jette alors la tête en arrière, fait son Snoopy, rayonne…

Bluezzin T’il Dawn, Natalia M. King, Challenge Records.

Musique
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