Noël Mamère : « L’intervieweur a un devoir d’interpeller »

Ancien journaliste, Noël Mamère juge l’évolution et les enjeux de l’interview politique.

Jean-Claude Renard  • 26 octobre 2016 abonné·es
Noël Mamère : « L’intervieweur a un devoir d’interpeller »
© Photo : JOEL SAGET / AFP

D’abord à l’ORTF puis au journal télévisé d’Antenne 2 en 1986, qui proposait alors régulièrement une interview politique, présentateur du magazine « Résistances » de 1986 à 1992 avant de devenir maire de Bègles puis député sous l’étiquette écologiste, Noël Mamère a cette particularité de connaître les deux côtés de la barrière. C’est avec cette double expérience sous le feu des médias que l’ancien candidat à l’élection présidentielle revient sur le renouvellement de l’interview politique, entre stratégies de communication, starisation du journaliste et nécessité de bousculer l’interlocuteur.

Comment voyez-vous l’évolution de -l’interview politique ces dernières années ?

Noël Mamère : Si l’on considère la presse mainstream, les entretiens politiques sont plutôt tournés vers le spectaculaire, n’allant jamais au fond des choses. Les seules grandes interviews, celles qui prennent le temps de creuser et d’expliquer, on ne les trouve que dans certains magazines ou certaines revues qui prennent le temps. En dehors de cela, elles sont devenues très rares. La part belle est plutôt faite aux experts, comme si les politiques n’avaient plus rien à dire.

En télévision, on ne peut pas dire que les choses ont évolué, hormis les décors ! Ce sont toujours les mêmes programmes. Déjà, lorsque j’étais à la présentation du JT -d’Antenne 2, quand arrivait un nouveau directeur de la rédaction, la première chose qu’on faisait était de changer le décor. On n’en faisait pas moins le même journal !

Comment jugez-vous la pertinence des questions ou les réactions des journalistes lors d’un entretien politique ?

Il serait trop facile de jouer à l’ancien combattant, mais les choses ont peu changé entre hier et aujourd’hui. En tout cas, il n’y a pas eu de progrès dans le questionnement.

Comment peut-on dépasser les stratégies de communication ?

C’est aux journalistes d’être plus forts. Contrairement à ce que l’on croit, ce sont les politiques qui détiennent l’agenda. Le problème du journaliste est donc de ne pas se laisser emporter, de ne pas être dépendant d’un calendrier décidé par les politiques. Ce qui demeure très compliqué.

Dépasser les stratégies de communication, cela suppose aussi une pertinence des questions, un courage politique et une bonne connaissance des dossiers de la part du journaliste. Ce qui, malheureusement, n’est pas souvent le cas. Personnellement, il m’est fréquemment arrivé d’être interviewé pour un livre qui n’avait pas été lu ! C’est un travers lié à la pression du temps. Quand on réalise une émission ou une interview quotidienne, il est illusoire de penser pouvoir tout lire et tout connaître.

La starisation du journaliste ne nuit-elle pas à l’interview politique ?

Absolument ! Cette starisation est même devenue un élément qui recouvre l’ensemble du genre et nous submerge. C’est un obstacle à la conduite véritablement politique d’une interview qui met en cause, interpelle, chahuterait l’interviewé. C’est ce que j’appelle l’effet réverbère : il s’agit d’aller du côté de la lumière plutôt que de scruter les zones d’ombre.

L’exercice doit-il être conduit à la manière d’un débat ?

Sûrement pas ! Le journaliste doit rester dans son rôle d’intervieweur, dans son devoir de faire connaître et d’interpeller. Or, jusqu’à aujourd’hui, on reste dans une espèce de neutralité, une communication sans relief. On gomme les aspérités. Finalement, aujourd’hui, les plus critiques sont les humoristes !

Faudrait-il alors leur confier l’interview politique ?

Non, car il ne s’agit pas du même registre. Mais c’est justement parce qu’ils sont sur un autre registre que les humoristes ont pris autant d’importance. Ils ont la dent dure et répondent à la défaillance des journalistes qui ont choisi de sous-traiter ce qu’ils ne sont pas capables de faire. Et, puisque cela reste dans le domaine de l’humour, il y a moins de conséquences.

L’intervention de ce qu’on appelle les « vrais gens » est-elle une solution pour renouveler le questionnement politique ?

Je ne suis pas sûr que le renouvellement de l’interview politique passe par là. Ce n’est en réalité qu’un artifice pour excuser la faiblesse des acteurs de cet exercice. Une bonne interview politique est celle qui est capable de mettre l’interlocuteur sur le gril.

Toutes les chaînes possèdent leur émission politique : n’y en a-t-il pas trop ?

Cela dépend du contenu. L’émission « Une ambition intime », de Karine Le Marchand, est-elle politique ? Elle l’est profondément, sans le dire, évitant toute aspérité, tournée exclusivement vers le people.

On entre là dans une mise en scène, une espèce de brouillard qui domine aujourd’hui le -paysage.

En l’occurrence, ce programme est diffusé après un montage important. L’interview politique peut-elle se passer du direct ?

Nous avons là les deux faces de la médaille. L’avantage du direct, c’est qu’on ne recommence pas. Son inconvénient, c’est que le journaliste peut se faire balader par l’interviewé s’il ne connaît pas bien son dossier. Il n’empêche que le direct est le meilleur support de l’entretien politique.

Finalement, entre les stratégies de communication et les mises en scène, ce qu’on pourrait appeler un jeu entre journalistes et politiques, l’interview politique est-elle encore possible aujourd’hui ?

Bien sûr ! Elle est difficile, parce que le spectacle l’a emporté, parce qu’on est dans la simplification et l’émotion, mais elle demeure possible. Elle ne doit pas disparaître du paysage télévisuel. Au reste, ce n’est pas un hasard si le premier débat des primaires de la droite et du centre a réuni plus de cinq millions et demi de téléspectateurs, a fortiori sur un exercice rébarbatif comportant sept intervenants. Cela souligne un réel intérêt des Français pour la politique et le débat. Il y a une demande, et les politiques feraient bien d’y réfléchir.

En même temps, il est vrai, l’émission de Karine Le Marchand rassemble plus de trois millions de téléspectateurs. Ce n’est peut-être pas contradictoire mais complémentaire. Il faut croire que les Français veulent du débat et de l’intime. On les a habitués à cela.

Noël Mamère Ancien journaliste de télévision, député-maire de Bègles.

Médias
Temps de lecture : 6 minutes