Les fleurs fanées des Bosquets

L’histoire de ce quartier emblématique, à Montfermeil, entre enquête et témoignages d’habitants et de connaisseurs.

Ingrid Merckx  • 22 février 2017 abonné·es
Les fleurs fanées des Bosquets
© Photo : BERTRAND GUAY/AFP

Sept barres de 10 étages et 13 immeubles de 4 étages, 1 534 logements dont 123 HLM. La copropriété des Bosquets, à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, accueille ses premiers habitants en 1965. Elle est l’œuvre de Bernard Zehrfuss, un rival de Le Corbusier, créateur de grands ensembles et boulimique de béton. Avec ses logements spacieux, ses pelouses, ses fleurs et une vraie mixité sociale et ethnique, les Bosquets est un endroit où il fait bon vivre jusqu’aux années 1980, notamment pour les familles, dont certaines arrivent des bidonvilles de Nanterre.

Gérée de façon désastreuse par des groupes étrangers et des bailleurs spéculateurs, la copropriété se détériore. Mauvais entretien, coupures d’eau et de chauffage, pannes d’ascenseurs… La classe moyenne prend le large. Les familles immigrées pauvres passent de 50 % à 80 % : des Cambodgiens, des Turcs, des Haïtiens et des Pakistanais rejoignent les Maghrébins restés sur place. L’État préempte plus de 500 logements, mais, en 1986, la droite arrive au pouvoir et suspend ces rachats. Dans le même temps, la ville, sous gestion communiste depuis les années 1950, bascule aux mains du villiériste Pierre Bernard, qui renforce l’isolement de ce qui est désormais transformé en ghetto. Le maire défraie la chronique en fichant les enfants de parents en situation irrégulière et en leur interdisant l’école.

En 1990, la gauche décide de prendre les Bosquets en main. Mais la drogue a étendu son empire, engouffrant des bandes entières dans le deal. Délinquance, affrontements, pauvreté, enclavement, le quartier vit en vase clos. Certains de ses habitants ne sortent jamais voir « le reste de la France ».

C’est cette histoire, des premières pierres jusqu’à l’été 2016 en passant par les révoltes de 2005 et les attentats de 2015, que relate, de l’intérieur, Jean-Riad Kechaou, professeur d’histoire-géo en Seine-et-Marne et blogueur pour Politis. L’idée étant de partir de la « plus petite échelle », le quartier, pour « analyser les raisons des problèmes dans les banlieues françaises défavorisées » et faire en sorte qu’ils ne soient pas mis uniquement sur le compte de leurs habitants.

Entremêlant les anecdotes, les données historiques, sociologiques et urbanistiques, des citations des Misérables et un regard d’enquêteur politisé visitant des lieux clés comme le terrain de foot, l’école et la mosquée, Jean-Riad Kechaou a rencontré de fins connaisseurs des Bosquets. Parmi eux, le cinéaste Ladj Ly, l’assistante sociale Laurence Ribeaucourt, le président d’AC Le Feu Mohamed Mechmache, le maire actuel Xavier Lemoine (Parti chrétien-démocrate) ou le policier Pierre Wadoux, qui travaille depuis 1994 au Centre de loisirs et de jeunesse (CLJ), géré par des policiers au cœur du quartier. Quand le CLJ a été créé, la police ne pouvait plus intervenir sur place, les agents se trouvaient « pris dans des traquenards ». Il s’agissait de « créer du lien ». Un sujet d’une actualité brûlante.

93370. Les Bosquets, un ghetto français. Jean-Riad Kechaou, MeltingBook, 192 p., 9,90 euros.

Idées
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