Collectif Berlin : Agrandir le monde

Depuis 2003, le collectif Berlin fabrique de passionnants spectacles hybrides à partir d’histoires insolites collectées dans des lieux toujours différents.

Anaïs Heluin  • 20 septembre 2017 abonné·es
Collectif Berlin : Agrandir le monde
© photo : Berlin

Loin d’être un confort comme il peut l’être pour certaines compagnies théâtrales, le documentaire est, pour le collectif Berlin, une prise de risque considérable et renouvelée à chaque création. Qu’ils fassent le portrait d’une ville, comme dans Bonanza (2006), Moscou (2009) ou Jérusalem (2013), ou optent pour d’autres types de récit, Bart Baele, Yves Degryse et leurs collaborateurs mettent en effet le réel au défi du théâtre. Et inversement. Cela avec une exigence de questionnement telle que la théâtralité menace à chaque fois de disparaître au profit de l’image.

Sortes de funambules du théâtre documentaire, les deux Belges – mais Berlinois de cœur – parviennent toutefois à conserver dans leur travail l’essence de l’art de la scène : le partage d’une expérience sensible avec un public, d’autant plus intense que ses modalités sont originales.

En attendant la création de Remember the dragons, que l’on pourra découvrir à Paris au Centquatre en avril 2018, deux spectacles sont visibles en tournée : Zvizdal et Perhaps all the dragons. Soit deux pièces sans acteurs qui, tout en donnant à découvrir des témoignages singuliers recueillis par les artistes, interrogent la place du théâtre et de la fiction dans un monde où l’on peut presque tout documenter en temps réel.

Notamment programmé aux Francophonies en Limousin, le premier spectacle est la chronique d’un village ukrainien en voie de disparition. Celui de Zvizdal, dans la région de Tchernobyl, décrété impropre à la vie humaine en 1986. En Ukraine comme partout où il s’aventure, Berlin se tient loin des sentiers battus. Là où il faut du temps pour pénétrer et comprendre.

Filmé pendant cinq ans par la journaliste Cathy Blisson, le quotidien des derniers habitants du lieu, les octogénaires Petro et Nadia, donne lieu à une performance bouleversante. Le dispositif est des plus simples. Sur un écran installé au-dessus de trois maquettes représentant la propriété du vieux couple, la solitude de celui-ci est donnée à ressentir à travers une succession de gestes de tous les jours. Sa manière de s’accommoder, au fil des saisons, de l’absence d’eau courante, d’électricité et de téléphone. De la forêt qui gagne du terrain et des forces qui déclinent. Manipulées en direct à partir de la régie, les petites caméras qui filment les maisons miniatures interrompent régulièrement le lent portrait. Et nous ramènent au théâtre.

Ces brèves ruptures incitent le spectateur à jouer un rôle actif. À interpréter le crépuscule filmé par la compagnie, qui peut aussi bien être celui de l’Ukraine d’avant la catastrophe que celui du monde, ou encore du théâtre. L’image, pour Bart Baele et Yves Degryse, n’est donc que la plus visible des composantes d’une investigation complexe commencée par les artistes et poursuivie par le public. Lequel est invité, dans Perhaps all the dragons, au cœur d’une structure ovale en bois occupée par trente écrans individuels.

Présentée lors de la dernière édition du festival Chalon dans la rue, cette installation-spectacle rassemble des témoignages recueillis aux quatre coins du monde. Celui d’un torero espagnol, du chef d’orchestre de l’Opéra de Vienne de 1943 à 1945, d’un scout belge, d’une employée du centre hydrométéorologique de Moscou… Tous authentiques à l’exception d’un seul. Bien ciselés, passionnants.

Selon un parcours établi par les membres du collectif Berlin, chaque spectateur visionne seulement cinq vidéos. La question du récit commun est donc plus aiguë encore que dans Zvizdal.

Transposition scénique des réseaux 2.0, Perhaps all the dragons dit la subsistance de cultures singulières dans un contexte mondialisé, et leur transformation du fait de leur accessibilité. Comme la spécialiste russe qu’il donne à entendre, le collectif constate ainsi que « le monde a rétréci » tout en imaginant des manières de l’agrandir à nouveau.

Zvizdal, les 21 et 22 septembre à Limoges, Francophonies en Limousin, 05 55 10 90 10. www.lesfrancophonies.fr.

Perhaps all the dragons, du 15 au 17 novembre au Manège, à Maubeuge, 03 27 65 65 40, www.lemanege.com

Autres dates sur www.berlinberlin.be

Théâtre
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