Vaccins : « Encourager l’information plutôt que l’étouffer »

Comment faire le tri dans les informations sur les vaccins ? A qui faire confiance ? La journaliste indépendante Lise Barnéoud a enquêté sur les 16 vaccinations principales.

Ingrid Merckx  • 22 septembre 2017 abonné·es
Vaccins : « Encourager l’information plutôt que l’étouffer »
© photo : FRED TANNEAU / AFP

Ce 22 septembre, Le Parisien a fait sa Une sur un rapport inédit de l’Agence nationale de sécurité sur les médicaments (ANSM) bouclé en mars – avant la nomination d’Agnès Buzyn au ministère de la Santé – et pointant des risques pour certaines personnes de la présence d’aluminium dans les vaccins. Ce que dénoncent des associations comme E3M qui militent pour des vaccins sans aluminium.

Le 31 août 2017, Agnès Buzyn a confirmé ce qui était annoncé depuis quelques semaines : le nombre de vaccins obligatoires en France passera de 3 à 11 au 1er janvier 2018. Et ce, alors même que des professionnels de santé ont alerté sur l’effet contre-productif d’une telle décision. Dans le pays de Pasteur, il se joue autour des vaccins une véritable guerre de l’information qui profite à la désinformation.

Comment faire le tri ? À qui faire confiance ? Comment savoir à quoi s’en tenir non sur la vaccination mais sur chacun des vaccins proposés aux moins de deux ans ? Dans Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins (Premier Parallèle), Lise Barnéoud, journaliste scientifique indépendante, a mené une enquête opiniâtre dont elle rend compte dans un récit enlevé et impliqué : son point de départ étant la rougeole qui l’a clouée au lit un soir de Noël et qu’elle a transmise à son bébé de deux mois [1].

Vous écrivez votre enquête sur les vaccins à la première personne avec une double casquette de journaliste scientifique et de jeune mère. Pourquoi ce choix ?

Lise Barnéoud : Rien n’avait été écrit sur les vaccins du point de vue des parents et des questions qu’ils peuvent se poser quand on leur demande de vacciner leur enfant nouveau-né jusqu’à ses 2 ans. Ces questions cruciales sont à l’origine de beaucoup de méfiance. En passant moi-même par ces questionnements et certaines craintes, et en en observant beaucoup autour de moi, je me suis dit que cette enquête pourrait se doubler des réflexions d’une mère franchissant ces étapes. J’avais vraiment l’impression qu’il manquait aux parents des informations accessibles et complètes, faisant la synthèse des publications scientifiques et légitimes sur les vaccins. Les autorités de santé comme ceux qui se sentent investis d’une mission contre les vaccins, ne sont pas dans la pédagogie, mais dans la persuasion. Y compris l’Académie de médecine ou les différents ministres en charge, dont les rapports ne parlent pas à l’intellect mais assènent : « Les vaccins, il n’y a pas à réfléchir… » Cette posture a généré tellement de doutes et de fantasmes sur d’éventuelles théories du complot que les militants antivaccins en ont profité pour s’aventurer bien au-delà de ce que la science permet de dire. Les parents sont perdus. J’ai voulu mettre à leur disposition une information pédagogique sur l’ensemble des vaccins proposés en France. On a tellement tendance à informer de manière globale qu’on oublie la réflexion bénéfice-risque pour chaque vaccin ainsi que la notion de service rendu.

Comment trier les informations sur les vaccins, comment savoir lesquelles sont justes ?

Mon travail a consisté à aller à l’information source. Par exemple, sur l’hépatite B, j’ai récupéré les onze publications qui traitaient de cet éventuel lien entre le vaccin et le déclenchement d’une sclérose en plaque. J’ai essayé de toutes les analyser d’un point de vue statistique en me disant : que prouvent-elles ? Quels sont les facteurs d’incertitudes ? Pourquoi certaines études trouvent-elles un lien positif et d’autres non ? Est-ce que ça dépend de la durée d’observation ? De l’âge de la cohorte ? Une fois qu’on a toutes les données en main, on peut réécrire les résumés que l’Académie de médecine s’est contentée de rédiger sans avoir pris ce temps d’analyse. Finalement, on parvient à un point de vue assez intermédiaire : les études montrent globalement que les vaccins représentent une prise de risque, comme n’importe quel médicament, mais que ce risque reste faible, souvent bien plus faible que pour d’autres médicaments, et concerne principalement des personnes prédisposées. Si on encourageait les recherches et l’information objective au lieu de les étouffer, ce serait plus rassurant.

Mais qu’est-ce qu’une information objective en matière scientifique, notamment sur les vaccins ?

Sur les onze études sur l’hépatite B, si on pouvait déplorer des conflits d’intérêts dans certaines, ce qui m’a permis d’y voir clair, c’est d’analyser la méthodologie de chacune. Ceci donne déjà une certaine idée de leur fiabilité. À une lecture approfondie, il faut ajouter des discussions avec des experts que l’on choisit pour leur indépendance. Il y a des informations médicales qui se contredisent ? C’est plutôt sain. C’est si elles vont toutes dans le même sens que cela devient suspect.

Pourquoi a-t-on l’impression que l’information est faussée sur la vaccination ?

On est dans le pays de Pasteur, on voue au pionnier des recherches sur les vaccins un véritable culte national. Les médecins, experts en santé publique, chercheurs en épidémiologie le considèrent comme leur maître. Rien que d’accepter comme légitime une question qui remet en cause une partie de la vaccination c’est comme lui donner un coup de poignard. Autre explication : nos experts officiels sont issus d’une génération où le rapport médecin-patient n’est plus celui qui prévaut. Ils sont restés dans un schéma de bienveillance paternaliste où le médecin sachant sait ce qui est bon pour le patient non sachant. La société a changé, les patients veulent comprendre ce qu’on leur prescrit et pourquoi. Ils ne donnent plus leur confiance aveuglément. D’autant qu’un certain nombre de scandales sanitaires ont éclaté ces dernières décennies. Deux campagnes de vaccination cristallisant les méfiances : contre l’hépatite B dans les années 1990, contre la grippe H1N1 en 2009. Ni les politiques vaccinales, ni les sages en santé publique ne se sont montrés dignes de confiance alors.

Sans compter des pétitions comme celle du professeur Joyeux contre l’obligation sur la formule hexavalente du vaccin DDT (diphtérie, tétanos, poliomyélite)…

Le côté irrationnel avec cette pétition c’est qu’elle se concentre sur un vaccin que n’est pas celui qui permet d’éviter le plus de morts ou de séquelles graves. Ces trois vaccins ont été les premiers à avoir été proposés à la population à une époque où l’obligation était la pierre angulaire des politiques vaccinales. Jusqu’en 1960, à chaque fois qu’un vaccin arrivait sur le marché, on le rendait obligatoire. L’obligation sur le DTP n’est que le fruit d’un héritage historique. J’estime toutefois que les autorités publiques sont légitimes à s’immiscer dans les choix de chacun lorsqu’il y a une dimension collective en jeu. Or, le vaccin contre le DTP ne protège que la personne qui se fait vacciner. La chose est connue pour le vaccin contre le tétanos. Il s’agit en effet de la seule maladie non contagieuse contre laquelle les nourrissons sont vaccinés. Cette maladie est liée à une bactérie présente un peu partout dans notre environnement. Le vaccin ne joue donc qu’un rôle de protection individuelle. En revanche, cette dimension « égoïste » est moins connue pour les deux autres vaccins obligatoires, contre la diphtérie et la polio, qui empêchent uniquement les pathogènes de nous nuire, mais qui préviennent nullement leur portage et leur réplication au sein de notre organisme. Autrement dit, une personne vaccinée peut transporter ces pathogènes et les transmettre à ses voisins, contrairement à d’autres vaccins comme le ROR (contre la rougeole, les oreillons et la rubéole) qui stoppent la transmission des virus en question. Pour toutes ces raisons, l’obligation sur ces trois maladies n’a aucun sens. La ministre Agnès Buzyn aurait pu lever l’obligation sur ces trois vaccins plutôt que d’essayer de la rendre pertinente en étendant l’obligation à onze vaccins.

Est-il exact que les voix discordantes sur l’obligation vaccinale au sein du comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination qui a rendu son rapport le 30 novembre 2016 ont été étouffées ?

Oui… Il semblerait que la fracture générationnelle et l’héritage pasteurien ont joué. Si l’on regarde plus en détail le rapport, on s’aperçoit que le jury de professionnels s’était prononcé en faveur d’une levée de l’obligation, et le jury de citoyens ne parvenait pas à trancher cette question. Quant aux points de vue des citoyens recueillis sur Internet, la seule chose qui ressort des 10 500 contributions validées est une analyse quantitative des mots les plus souvent utilisés. On y apprend que les mots les plus souvent associés sont : vaccin, obligatoire et non. « Les critiques expriment un rejet envers le caractère obligatoire des vaccins », peut-on lire dans les annexes du rapport. Bien loin donc de la recommandation finale d’élargir l’obligation à 11 vaccins…

Vous écrivez que la vaccination relève de la croyance avec ses bigots et ses hérétiques. Pourquoi a-t-on tant de mal à dessiner le détail des camps ?

Il y a quelques vraiment « anti » et quelques vraiment « pros », ces derniers étant d’ailleurs beaucoup plus nombreux que ceux qui rejettent par principe la vaccination et restent très minoritaires. Entre ces deux extrêmes, il y a des gens qui s’interrogent non pas sur la vaccination mais sur chacun des vaccins, leur pertinence, leur risque ou le moment de les pratiquer. Une partie des méfiants s’interrogent essentiellement sur la présence d’aluminium dans les vaccins sans remettre en cause le vaccin en lui-même. Ceux qu’on appelle les antivaccinaux sont beaucoup moins puissants que les pros mais beaucoup mieux organisés sur Internet. Ce qui fait qu’un parent qui se renseigne sur Internet va trouver beaucoup plus d’informations antivaccins. De même les études sur la méfiance des Français à l’égard des vaccins ne sont pas suffisamment précises. Les questions sont souvent de l’ordre : « Pensez-vous que les vaccins soient sûrs ? – Tout à fait, pas vraiment, pas du tout ? » Je ne saurais pas quoi répondre moi-même… Les rapports de force ne sont pas les mêmes. Les pros ont quand même les autorités de santé pour eux. Nous assistons à une vraie bataille de l’information.

Les médecins que vous avez rencontrés vous ont-ils paru également perdus ?

Si je ne prends que l’exemple du temps que j’ai passé à étudier les liens potentiels entre vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaque, je ne vois pas comment un médecin avec ses patients et ses consultations aurait pu procéder à cette analyse. Les médecins sont obligés de suivre les canaux officiels. Certains pays ont des consultations spécialisées sur la vaccination.

Quid du discours culpabilisant les jeunes parents : « Si vous ne vaccinez pas votre enfant, non seulement vous le mettez en danger mais vous mettez en danger les personnes vulnérables et vous vous comportez en enfant gâté des pays riches » ?

Cet argument sur le soi-disant individualisme des nouvelles générations me semble ridicule. Un vaccin doit être adapté à chaque situation sanitaire. Mieux vaudrait expliquer par exemple qu’un vaccin comme celui contre la rougeole peut avoir un véritable impact sur la collectivité alors qu’un vaccin contre le tétanos ne protège que la personne vaccinée d’un pathogène non transmissible largement présent dans notre environnement.

Cette enquête éclairée que chaque parent doit faire n’est-elle pas mise à mal par l’obligation vaccinale ?

La décision de passer à onze vaccins obligatoires au lieu de trois me paraît incohérente à l’heure où les parents ont besoin de comprendre. Ca ne peut que créer de la suspicion et une mauvaise information. Le pire serait que l’obligation serve d’alibi à moins d’informations et fasse fleurir des théories du complot.

Quels obstacles avez-vous rencontrés dans votre enquête ?

Nombre d’experts m’ont répondu : « Arrêtez de vouloir rentrer dans la complexité, ça ne sert à rien, plus le message est compliqué moins il passe, tenez-vous en à : “Le vaccin c’est bien”… » Autre difficulté : accéder aux données brutes, notamment les données de pharmacovigilance des industriels qui ne sont pas publiques dans leur détail. On manque cruellement de transparence.

[1] Lise Barnéoud, Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins, Premier Parallèle, 238 p., 18 euros.