Migrations : Leur Europe et la nôtre

Complices des morts en Méditerranée, les États d’Europe renient leurs valeurs. Des alternatives sont pourtant possibles.

Pouria Amirshahi  • 20 juin 2018 abonné·es
Migrations : Leur Europe et la nôtre
© photo : Le 17 juin, les réfugiés de l’Aquarius débarquent à Valence, en Espagne. crédit : Daniel Duart/afp

Les mots généreux et humanistes qui sortaient de la bouche du candidat Macron ont disparu du vocabulaire de la France officielle, désormais alignée sur les axes de pensée des xénophobes. Une posture qui avait valu au gouvernement le soutien des députés FN sur certains articles de la loi asile et immigration. La dérive vient de loin, on l’a appelée la lepénisation des esprits. C’est sous cette pression grandissante depuis les années 1990 que les gouvernements promulguent en moyenne une nouvelle loi sur l’immigration tous les deux ans. Dans les discours, on est même passé de « ne pas accueillir toute la misère du monde » à ne pas accueillir du tout.

Hélas, la France n’est pas seule dans cette dérive. L’extrême droite progresse en même temps que les populismes xénophobes. Une carte politique du continent suffit à prendre la mesure du désastre. Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer (CSU), va même jusqu’à lancer un ultimatum à sa chancelière Angela Merkel et menace de fermer « immédiatement » les frontières si une solution européenne n’est pas trouvée au sommet de l’UE des 28-29 juin. D’autres États membres ont déjà construit des murs de barbelés le long de leurs frontières. En vérité, tous sont sur une politique de l’endiguement. La dernière rallonge de 3 milliards accordée par l’UE à la Turquie ne vise pas autre chose. Pire, on paie désormais les garde-côtes libyens pour ramener les migrants sur la terre ferme, là où des mafias organisées séquestrent, torturent, rançonnent ou esclavagisent des migrants. Par tous les moyens, on coupe les routes, et quand on n’y arrive pas, on bloque les bateaux de secours : en 2016, ils étaient dix navires humanitaires, aujourd’hui, ils ne sont plus que quatre, dont l’Aquarius, qui a sauvé 28 000 vies en trois ans. Et quand celui-ci continue de secourir, on lui ferme les ports.

Les dirigeants français peuvent bien accabler l’Italie et son gouvernement d’extrême droite, cela n’excuse en rien leur silence complice. Le message délivré est le même : on ne veut pas de vous. Pendant ce temps, des milliers de cadavres humains croupissent au fond de la Méditerranée. Plus de 16 000 morts depuis 2013, selon l’Organisation internationale des migrations, sans compter les disparus. La digne décision du nouveau gouvernement social-démocrate espagnol d’accueillir les 629 de l’Aquarius est un signal hélas bien faible. La plupart des dirigeants européens sont coupables. De refuser de voir. De laisser mourir. De manquer à l’obligation de secours. D’organiser la mort. Qui donc oserait dire que nous sommes totalement étrangers aux drames irakien ou afghan ? Qui nierait les responsabilités directes de la France et de la Grande-Bretagne dans le chaos libyen ? Qui considère qu’il existe une réelle économie de l’aide au développement en Afrique ? Qui conteste l’effet de notre modèle de croissance tous azimuts dans la crise climatique qui va contraindre des millions d’êtres humains au drame du déplacement forcé ?

Des solutions existent pourtant pour une autre politique de l’accueil, de l’asile, de l’immigration et de la coopération avec les pays d’exode. Les parlementaires européens que nous interrogeons cette semaine nous le disent. Car on imagine déjà ce qu’ont en tête les chefs d’État et de gouvernement : réviser Dublin III (qui renvoie le demandeur d’asile au premier pays d’accueil) en introduisant la notion de « pays tiers sûr ». Autrement dit, externaliser l’accueil. Éloigner la misère. En attendant que les progressistes sachent s’unir et construire une alternative crédible, la France qui sauve l’honneur des mots et de l’action fraternelles, c’est celle du bateau Aquarius, affrété par SOS Méditerranée et MSF. C’est celle des citoyens de la Roya.

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