Pauline Delabroy-Allard : Duo et fugue

Pauline Delabroy-Allard relate une passion amoureuse qui mène entre la vie et la mort.

Christophe Kantcheff  • 17 octobre 2018 abonné·es
Pauline Delabroy-Allard : Duo et fugue
© Catherine Gugelmann/Opale/Éditions de minuit

La narratrice, parisienne, la trentaine, une enfant en bas âge, divorcée mais avec un nouveau compagnon, mène une « vie chagrine ». Quand soudain apparaît Sarah et « sa beauté inédite, son nez abrupt d’oiseau rare, ses yeux d’une couleur inouïe, rocailleuse, verte, mais non, pas verte, ses yeux absinthe, malachite, vert-gris rabattu, ses yeux de serpent aux paupières tombantes ». Un cyclone ravageur, au point que la narratrice en tombe amoureuse – elle qui ignorait qu’elle pouvait aimer une femme.

Dans une première partie, Ça raconte Sarah relate une rencontre et une passion. Ce faisant, le roman dresse le portrait d’une femme d’aujourd’hui, impatiente, sans attaches, violoncelliste dans un quatuor réputé. Parfois surprenants, les adjectifs sont nombreux pour la qualifier : « imprévisible, ondoyante, déroutante, versatile, terrifiante comme un papillon de nuit ». Ainsi est Sarah. La narratrice est prise dans un tourbillon enchanteur et épuisant, dont l’écriture rend compte, rapide et longue dans les lignes droites, nerveuse dans les virages dangereux.

Parce que, oui, ça tangue rapidement. Sarah va et vient à cause des déplacements qu’exige son métier, a des poussées de colère inexpliquées qui retombent aussi vite qu’elles sont apparues, est dépassée par la passion. La narratrice a vérifié la définition du mot passion. Indissociable de la notion de souffrance.

Les deux femmes se retrouvent le temps d’une nuit après séparation. Sarah est malade : cancer du sein. Elle dort. La narratrice la regarde, voit une morte à côté d’elle. Elle s’en va. C’est la seconde partie, inattendue, de Ça raconte Sarah. Un voyage en Italie. À Milan et surtout à Trieste, où elle est seule. La narratrice a abandonné Sarah présente ; elle ne parvient pas à se confronter à son absence. Dans cette ville des confins, aux identités plurielles « mais qui donne le tournis et qui essaie de nous duper », hantée par un spectre plus que par une femme certes malade mais vivante, la narratrice se perd dans ses obsessions. Fuite en avant, fuite en arrière.

Cette seconde partie s’inscrit dans le prolongement de la folie de la passion. Mais elle donne au roman une dimension presque fantastique, entre souvenirs rêvés et cauchemars exaltés, dans le décor insolite d’une ville inconnue. Dès lors, ça raconte toujours Sarah, mais transformée, déformée par l’esprit de plus en plus fragile de la narratrice. Ce premier roman, extrêmement prometteur, nous fait passer de la réalité pressante aux fantasmes oppressants. Pauline Delabroy-Allard est un nom à retenir.

Ça raconte Sarah, Pauline Delabroy-Allard, Minuit, 192 pages, 15 euros.

Littérature
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