Réforme des retraites : Prudence et arrière-pensées politiques

Malgré une communication habile, destinée à endormir l’opinion qu’il sait prompte à se mobiliser, Emmanuel Macron veut rogner les droits à la retraite.

Michel Soudais  • 17 juillet 2019 abonné·es
Réforme des retraites : Prudence et arrière-pensées politiques
© photo : Emmanuel Macron en visite dans un EPHAD de Rozoy-sur-Serre (Aisne), le 7 novembre 2018.crédit : ludovic MARIN/AFP

Réformer les retraites découle au moins autant de choix politiques que de considérations économiques. Celles-ci n’étaient d’ailleurs nullement invoquées par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, quand il promettait, en iréniste, de mettre « fin aux injustices de notre système de retraite » par la mise en place progressive d’« un système universel avec des règles communes de calcul des pensions ». Fort prudemment, le futur président de la République promettait même de ne toucher ni « à l’âge de départ à la retraite, ni au niveau des pensions », sous-entendant que sa réforme n’avait pas pour but de faire des économies.

La présentation de son projet de « système de retraite par points » dans lequel « un euro cotisé donne les mêmes droits pour tous » était habile. Dans un pays qui cultive depuis la Révolution française la passion de l’égalité, elle avait plus de chance d’être accueillie avec sympathie que la proposition de François Fillon. Sans imagination, le candidat de la droite, qui avait déjà conduit trois réformes des retraites, au ministère du Travail puis à Matignon, avançait, lui, des raisons économiques pour justifier un nouveau recul de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, promettant que cela garantirait le niveau des pensions. Un niveau que le modèle suédois revendiqué par Macron ne garantit aucunement. Le niveau du point y est revalorisé en fonction des conditions démographiques et macroéconomiques pour que le système des retraites soit financièrement équilibré. Si la démographie fléchit et la croissance est faible, le risque existe que le point soit revalorisé à la baisse. Un détail que le candidat Macron et ses soutiens se sont toujours gardés d’évoquer.

En optant pour une réforme globale, qui n’épargnera aucun actif et mettra fin aux 42 régimes spéciaux, plus favorables à ceux qui en bénéficient, il a conscience de marcher sur des œufs. Toutes les réformes régressives de notre système de retraites ont provoqué des mouvements de grève et jeté des centaines de milliers de manifestants dans les rues. Seule exception : la réforme conduite par le gouvernement d’Édouard Balladur en quelques semaines au cœur de l’été 1993 ; elle a porté dans le privé la durée de cotisation de 37,5 à 40 ans, augmenté la période de référence pour le calcul des pensions de 10 à 25 ans, et décidé qu’elles ne seraient plus indexées sur l’évolution des salaires, mais sur la seule inflation… En 1995, quand Alain Juppé s’attaque aux régimes spéciaux et au rapprochement du régime de la fonction publique avec le régime général, un important mouvement de grèves, notamment dans les transports, le contraint à renoncer.

Pour aboutir, les réformes suivantes visaient toutes un segment de la société réputé privilégié. En 2003, Fillon aligne la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du privé, sans toucher aux régimes spéciaux, dont la durée de cotisation sera revue à la hausse après l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007. En 2010, son gouvernement décide de repousser de 60 à 62 ans l’âge de départ à la retraite, mesure contre laquelle se mobilisent à huit reprises plusieurs millions de salariés du public et du privé. En 2013, le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault ne touche pas à cet âge de départ, mais décide d’une augmentation progressive de la durée de cotisation, portée à 43 ans en 2035, avec un système de décote pour ceux qui prendraient leur retraite avant l’âge de 67 ans sans avoir le nombre d’annuités requis.

Conscient des difficultés qui l’attendent, Macron a mis en place un dispositif de communication politique singulier : nommer Jean-Paul Delevoye, un ancien médiateur de la République plutôt bonhomme – et ancien chiraquien –, haut-commissaire à la réforme des retraites, avec la mission de préfigurer dans un rapport ce que serait ce « système universel », au terme d’une « concertation » de plus de dix-huit mois. Cela suffira-t-il à endormir l’opinion ? Rien n’est moins sûr. Contrairement à son engagement de campagne, Macron a déjà baissé par deux fois le niveau des pensions, avec la hausse de la CSG en 2018 et la revalorisation des pensions inférieure à l’inflation en 2019. En se prononçant, fin avril, pour la création d’un « âge pivot », il a clairement indiqué qu’il envisageait sans le dire de toucher à l’âge légal de départ en retraite. Une erreur de communication que le renoncement du gouvernement à inscrire dans le budget 2020 des mesures d’âge souhaitées par Édouard Philippe et les ministres issus de LR n’efface pas totalement. Derrière la simplification du soi-disant « système universel », ce sont bien des mesures d’économies qui sont recherchées.

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