João Beto, 19 novembre 2020

João Alberto Silveira Freitas est mort d’asphyxie sous les coups de deux vigiles d’un supermarché Carrefour de Porto Alegre. Vers un mouvement Black Lives Matter brésilien ?

Patrick Piro  • 25 novembre 2020
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João Beto, 19 novembre 2020
Une manifestation à Porto Alegre, le 23 novembre, suite à la mort de João Beto.
© SILVIO AVILA / AFP

On reste pétrifié devant la violence de la scène. À l’entrée d’un supermarché Carrefour de la ville brésilienne de Porto Alegre, deux vigiles tabassent un client noir dans un déchaînement consciencieux de coups. Il est projeté à terre, le sang éclabousse le béton. L’un des bourreaux lui coince le cou sous son genou. Quelques minutes plus tard, João Alberto Silveira Freitas, João Beto pour ses proches, meurt d’asphyxie sous les yeux de sa femme. Il avait 40 ans.

Des manifestations et des appels au boycott de l’enseigne ont éclaté dans tout le pays aux cris de « Carrefour assassin, raciste » ou « Vidas negras importam », l’équivalent du Black lives matter (les vies noires comptent). Les deux vigiles sont des hommes blancs, employés d’une société de gardiennage sous contrat avec Carrefour, et pour les manifestant·es, il ne fait aucun doute que ce massacre est un acte raciste. Il aurait été déclenché par une simple altercation de João Beto avec une employée du magasin. Coïncidence incendiaire : ce jeudi 19 novembre est veille du Jour de la conscience noire, hommage à la résistance des esclaves du Brésil à l’oppression des maîtres blancs.

Comme à Minneapolis le 25 mai dernier, une personne a filmé la scène. La similitude avec la mise à mort de George Floyd est troublante, jusqu’au déni du président Bolsonaro, tel Trump, fustigeant les mouvements antiracistes « qui fabriquent des conflits » qui n’existeraient pas au Brésil.

« Horrifiée », Carrefour a immédiatement réagi : excuses, licenciements, rupture du contrat avec la société de gardiennage, etc. L’affaire est extrêmement sensible pour l’image du groupe, dont le Brésil est le deuxième marché au monde derrière la France, avec 700 points de vente. Son PDG, Alexandre Bompard, exige « une revue complète des politiques de formation des collaborateurs et des sous-traitants en matière de sécurité, de respect de la diversité et des valeurs de tolérance ».

C’est évidemment louable. Mais cette réactivité massive résonne aussi comme un terrible aveu de culpabilité. La Coalition noire pour les droits rappelle que le cas João Beto a connu deux précédents à Carrefour Brésil, en 2009 et 2018. « Ce qui est révoltant, c’est le modèle raciste d’une société qui pratique quotidiennement la violence morale, physique et symbolique contre sa population noire », dénonce l’Association brésilienne de lutte contre les inégalités, appelant la filiale à cesser d’y contribuer. Le magnat Abilio Diniz, l’un de ses actionnaires majeurs, a réagi, demandant que « Carrefour s’organise pour devenir un agent transformateur de la lutte contre le racisme structurel au Brésil et dans le monde ». On en rêverait.

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Parti pris

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