La bataille de l’Odéon

Face à l’inaction du gouvernement, les professionnels occupent le théâtre de l’Odéon pour réclamer un calendrier de réouverture des lieux de culture.

Christophe Kantcheff  • 9 mars 2021
Partager :
La bataille de l’Odéon
© Photo : Philippe Labrosse / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Joli clin d’œil : le slogan ornant le fronton du théâtre de l’Odéon lors de son occupation en mai 1968 disait : « Étudiants-Ouvriers, l’Odéon est ouvert ». Ouvert ? Voilà un mot qui aujourd’hui, alors que la culture est placée depuis de longs mois sous étouffoir, sonne comme un défi. Cinquante-trois ans plus tard, c’est ce haut lieu symbolique que des artistes et des techniciens, à l’initiative de la CGT Spectacle, ont décidé d’occuper à partir du 4 mars.

Depuis, cette action ne cesse de gagner en audience. Parce que la situation est arrivée à un point de tension insupportable. À la fermeture des scènes et des cinémas qui s’éternise s’ajoute l’atonie du gouvernement, ressentie à juste titre comme du mépris. La semaine dernière, une tribune réclamant la réouverture des salles de cinéma, publiée par Le Monde, a beau avoir été signée par la fine fleur de la profession, elle n’a déclenché aucune réaction en haut lieu. La ministre, Roselyne Bachelot, plus tape-à-l’œil que son prédécesseur, Franck Riester, a finalement le même poids politique proche de zéro. Son passage parmi les occupants de l’Odéon, le 6 au soir, a eu l’effet d’un non-événement : les mots qu’elle prononce n’ont aucune consistance. C’est pourquoi ceux-ci réclament la présence du Premier ministre à la réunion du Conseil national des professions du spectacle qu’ils appellent de leurs vœux – un Jean Castex manifestement sensible aux beaux-arts puisqu’il a qualifié feu Olivier Dassault d’« artiste à l’élégante audace »

Cette occupation gagne aussi en ampleur parce qu’elle porte une revendication première allant au-delà du secteur culturel : le retrait de la réforme de l’assurance-chômage, dont la ministre « de gauche » Élisabeth Borne, qui en attend 1 milliard d’économies, a fixé l’entrée en vigueur dès le 1er juillet – on a le sens des priorités… La prolongation de l’année blanche, octroyée aux intermittents du spectacle jusqu’au 31 août 2021, est également demandée. Ainsi qu’un calendrier de réouverture des lieux de culture – dont des études montrent que le coronavirus s’y diffuse moins que dans les écoles ou lors des repas en famille à condition d’y respecter un strict protocole avec jauges limitées – accompagné d’un vaste plan de reprise d’activité.

« Nos divertissements sont finis. Ces acteurs, / j’eus soin de vous le dire, étaient tous des esprits : / Ils se sont dissipés dans l’air, dans l’air subtil. » Ainsi s’exprime Prospero dans La Tempête de Shakespeare. C’est au contraire pour continuer à faire vivre la culture en chair et en os que luttent aujourd’hui les artistes et les techniciens, combat essentiel.

Publié dans
Parti pris

L’actualité vous fait parfois enrager ? Nous aussi. Ce parti pris de la rédaction délaisse la neutralité journalistique pour le vitriol. Et parfois pour l’éloge et l’espoir. C’est juste plus rare.

Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

1995 : une révolte fondatrice
Luttes sociales 5 novembre 2025

1995 : une révolte fondatrice

Le mouvement social 1995 fut à la fois une victoire sociale et un basculement politique. Entre la résignation et la résistance, un monde s’est dessiné et nous vivons encore dans son sillage.
Par Benoît Teste et Pierre Jacquemain
Mamdani, la gauche qui réconcilie radicalité et réel
Parti pris 5 novembre 2025

Mamdani, la gauche qui réconcilie radicalité et réel

L’élection de Zohran Mamdani à la mairie de New York relève du séisme politique. Dans la ville la plus chère du monde, bastion du capitalisme financier, les nombreux électeurs ont porté au pouvoir un maire issu de la gauche de gauche, musulman, cible d’une campagne d’islamophobie médiatique jusqu’en France. Au-delà du symbole, cette victoire incarne le retour d’une gauche concrète et populaire.
Par Pierre Jacquemain
Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale
Parti pris 30 octobre 2025

Algérie : unis derrière le RN, les députés effacent la mémoire coloniale

L’Assemblée nationale a adopté, pour la première fois sous la Ve République, un texte du Rassemblement national. Il ne fallait qu’une voix de plus pour l’en empêcher. Derrière la technicité du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, c’est un basculement politique majeur.
Par Pierre Jacquemain
Alerte rouge sur le front républicain
Parti pris 29 octobre 2025

Alerte rouge sur le front républicain

Nouvel indicateur de la victoire de la dédiabolisation de l’extrême droite, l’effritement significatif du front républicain. Plus qu’une photographie du moment, un sondage que Politis publie ce 29 octobre doit sonner l’alerte, notamment à gauche dont une partie des sympathisants décroche du réflexe dit « républicain ».
Par Pierre Jacquemain