Prenons soin de notre hôpital !

Alors que le service public hospitalier s’apprête à subir de nouveaux coups durs, une association mise tout sur la participation citoyenne à travers une proposition de référendum d’initiative partagée.

Chloé Dubois (collectif Focus)  • 30 juin 2021 abonné·es
Prenons soin de notre hôpital !
Manifestation du 16 juin 2020 à Paris pour réclamer davantage de moyens pour l’hôpital public.
© Masha Mosconi/Hans Lucas/Hans Lucas/AFP

L ’hôpital public, ce n’est pas uniquement le combat des soignants », note avec évidence Tiphaine Le Roux, coprésidente de la toute nouvelle association de défense du système hospitalier « Notre hôpital, c’est vous », lancée en mai. Seul et unique objectif de la structure : porter une proposition de loi au nom de « l’accès universel à un service public hospitalier de qualité » via un référendum d’initiative partagée (RIP). Dès que la procédure s’arrêtera (1), « en espérant qu’elle aille le plus loin possible, l’association disparaîtra », assure le professeur David Grabli, neurologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, et coprésident de l’initiative.

L’idée de cette proposition de loi, explique le médecin, est d’inscrire dans la Constitution « des mesures de bon sens », maintes fois réclamées, qui visent « à renverser et à modifier le paradigme actuel » de l’hôpital public. En clair, fixer les moyens (lits, personnels, matériels, etc.) en fonction des besoins de la population sur les territoires, et non pas d’une logique budgétaire délétère. Dans les faits, « il n’y a pas de rupture avec les revendications qui sont portées par les mouvements de défense de l’hôpital public depuis plus de deux ans, continue Tiphaine Le Roux, éditrice de bande dessinée de métier, faisant référence aux collectifs inter-urgences et inter-hôpitaux (CIU et CIH) nés en 2019, dont l’association est justement issue. La crise sanitaire n’a fait que révéler un peu plus les besoins des hôpitaux, et nous pensons qu’il est temps de faire vraiment participer les citoyen·nes au débat. Car, plus que jamais, les gens ont vu que les manques de moyens avaient des conséquences sur leur vie et qu’un hôpital en bonne santé, ça a de la valeur. Tout ça dépasse les clivages : nous sommes sur des propositions transpartisanes ».

Parmi les mesures déjà entièrement rédigées sous la forme d’une proposition de loi (2), l’association propose trois grands axes, déclinés en onze articles, autour du financement de l’hôpital, de sa gouvernance et de la qualité des soins. Petit bémol, un RIP ne peut pas toucher directement aux finances de l’État. « Il ne s’agit donc pas de demander une augmentation du budget de l’Ondam (3), reprend David Grabli. Il s’agit d’inscrire la nécessité de construire des socles de démocratie sanitaire sur les territoires et de donner une voix aux usager·ères, aux paramédicaux et aux médecins dans la gouvernance des hôpitaux. C’est ça qui va nous aider à déterminer comment vont être définis et évalués les besoins. » De même, le projet de loi propose de limiter la part du financement d’un établissement de santé par la tarification à l’activité à moins de 50 % de la totalité de ses revenus. L’objectif : faire cesser la pression exercée par les directions hospitalières sur les soignant·es pour accomplir toujours plus d’actes médicaux. Autant de vieilles promesses du quinquennat réitérées à plusieurs reprises par le gouvernement, jusqu’au Ségur de la santé en juillet 2020, qui pourraient, par cet intermédiaire, devenir réalité. En bref, « vous n’allez pas tomber à la renverse en lisant nos propositions, coupe Tiphaine Le Roux. En tant que citoyenne, je croyais même que tout était déjà fait ».

Les manques de moyens se traduisent par des pertes de chances pour les patient·es.

De fait, ce n’est pas le cas. Depuis le Ségur, « tout est au point mort », s’indigne Sophie -Crozier, responsable des urgences cérébro–vasculaires à la Pitié-Salpêtrière et membre du CIH. La neurologue évoque notamment les milliards que le gouvernement se vante d’avoir alloués à la santé, sans préciser que « ça concerne majoritairement les revalorisations salariales de 183 euros que les paramédicaux ont obtenus à l’issue du Ségur et les dépenses liées à la crise du covid ». Pour tout ce qui relève du fonctionnement et de l’organisation des hôpitaux, « on continue à nous demander 1 milliard d’économies ! » Et derrière cette bataille de communication, les hospitalier·ères déplorent toujours autant de lits fermés et des personnels de plus en plus épuisés qui pensent à quitter le métier. « On perd le sens de nos métiers et je trouve ça très grave, d’un point de vue individuel et collectif, reprend Sophie -Crozier. Individuel, parce qu’il n’est pas rare de voir de jeunes soignant·es partir de l’hôpital absolument dépité·es, voire détruit·es. Collectif, parce que cela interroge sur la société dans laquelle on va vivre. Si l’hôpital public s’effondre… Ça me rend malade. »

Car, s’il est utile de le rappeler, les manques de moyens se traduisent par des pertes de chances pour les patient·es. Dans son service, Sophie Crozier assure compter 50 % de lits fermés et 40 % sur l’ensemble des unités d’urgences cérébro-vasculaires en Île-de-France. Alors même que « l’on sait qu’une prise en charge rapide peut réduire de 30 % le risque de décès ou de handicap après une attaque, les pompiers perdent beaucoup de temps à essayer de trouver des lits disponibles… ». « En dix ans, dans mon hôpital, on a perdu plus de 100 lits, et nous allons encore en perdre plusieurs centaines dans la fusion avec Bichat », rappelle de son côté Pierre Schwob Tellier, vice-président du CIU et infirmier aux urgences de l’hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine), dénonçant dans la foulée le retour d’un management « trash » à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui prévoit de nouvelles fermetures dans les cinq prochaines années.

Dans ces conditions, et puisque les promesses du Ségur sont pour l’heure restées lettre morte – selon les personnels hospitaliers –, chacun a les yeux rivés sur le RIP. Les 185 signatures de parlementaires seront entièrement recueillies dans les prochains jours, et le texte référendaire sera déposé au Conseil constitutionnel d’ici début juillet. L’institution disposera alors d’un mois pour évaluer la constitutionnalité de la proposition. Cela fait, sans doute à partir de septembre, un grand débat citoyen devrait être organisé afin d’expliquer les enjeux auxquels sont confrontés les établissements publics de santé. Une étape indispensable pour les personnels hospitaliers, qui estiment que la population a été privée de la possibilité de participer aux discussions sur les problématiques d’accès aux soins, à l’heure, notamment, où les déserts médicaux se multiplient. L’association aura neuf mois pour récolter les signatures de 4,7 millions de personnes, soit 10 % du corps électoral. Un moyen de parachuter ces sujets dans l’agenda politique et médiatique des prochains mois, marqués par l’élection présidentielle d’avril 2022. « Les masques sont littéralement en train de tomber de l’espace public, et on pourrait se dire qu’on a fait ce qu’il fallait. Mais ce n’est pas le cas, conclut le professeur David Grabli. Ce que nous voulons dire, c’est qu’on ne peut pas passer à autre chose. »

(1) Un référendum d’initiative partagée est une procédure qui permet aux citoyen·nes de porter une proposition de loi. Celle-ci doit d’abord être signée par un cinquième des parlementaires et, après l’aval du Conseil constitutionnel, soutenue par 10 % de la population, soit 4,7 millions de personnes. Elle pourra ensuite être inscrite à l’ordre du jour des assemblées du Parlement, qui ont six mois pour examiner le texte.

(2) La proposition de loi référendaire a été rédigée avec l’aide de différent·es professionnel·les de santé et usager·ères, notamment issu·es du CIU et du CIH.

(3) L’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam) est un « objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de soins de ville et d’hospitalisation dispensés dans les établissements privés ou publics, mais aussi dans les centres médico-sociaux ».

Société Santé
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