La censure par décret

Christine Tréguier  • 1 mars 2007 abonné·es

Il y avait longtemps qu’aucune initiative n’avait été prise par l’État pour réguler les contenus sur Internet. À chaque tentative, et il y en a eu en dix ans, les défenseurs de la régulation, planqués derrière de nobles motifs ­ protection de l’enfance, dignité de la personne, lutte contre le racisme, etc. ­, ont brandi la nécessité de réprimer les sites illicites et préjudiciables. À chaque tentative, les associations de défense des libertés, les internautes et les acteurs du réseau leur ont opposé l’irréalisme intrinsèque de la chose ­ une régulation nationale ne peut prétendre contraindre les expressions publiques mondiales ­, son anticonstitutionnalité et le risque pour la liberté d’expression. Aujourd’hui, une nouvelle mesure se profile. Un projet de décret émanant du ministère de la Famille crée, sous couvert de protection de l’enfance, une « Commission nationale de déontologie des services de communication au public en ligne ». Elle est chargée de formuler des « recommandations tendant à assurer le respect des principes de déontologie » et de « délivrer et, le cas échéant, de retirer des labels de qualité » .

La Ligue Odebi, qui a eu vent du projet, déplore l’absence de consultation, le fait que 14 membres sur 20 soient nommés pour cinq ans par le Premier ministre, et les imprécisions quant aux acteurs régulés ­ du FAI au petit blogueur, en passant par les responsables de sites, collaboratifs ou communautaires (web 2.0), forums etc. Elle s’interroge sur ce concept flou de « déontologie des services de communication en ligne » et sur ce qu’est un « label citoyen » : une obligation de modérer a priori ou de censurer les sites, forums et blogs « trop » citoyens ? Et elle redoute la création de « labels presse » pour trier les sites politiquement incorrects.

Imaginons un réseau solidaire (Iris) s’insurge contre une énième tentative de « censure administrative » . April, membre du Forum des droits sur l’Internet (FDI), dénonce « un gigantesque retour en arrière sur le plan conceptuel, le gouvernement semblant confondre Internet et minitel » . Le FDI leur fait écho et parle d’une «construction « baroque », par certains aspects inquiétante» . L’Union nationale des familles (Unaf) estime « illusoire une régulation par le sommet » . Tout cela n’est pas très pédagogique, poursuit-elle, « on a besoin d’un endroit où les pouvoirs publics sortent de la démarche bilatérale qui est la leur, pour pratiquer l’intelligence collective » .

En d’autres termes, la corégulation, oui ; la surveillance sécuritaire, non.

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