Ma vie sur scène

Des habitantes du Blanc-Mesnil interprètent leur propre rôle dans une pièce saisissante écrite par Elsa Solal à partir de leurs témoignages.

Gilles Costaz  • 8 mars 2007 abonné·es

« Monsieur le Président, les femmes du 9.3 vous saluent » : cette femme est une actrice toute neuve, comme ses quinze partenaires de la pièce Le bruit du monde m’est entré dans l’oreille d’Elsa Solal. Femmes avec foulard, sans foulard, en manteau, en jeans, en blouson, en pull, blanches et noires, jeunes et âgées, elles appartiennent à la déjà célèbre Maison des tilleuls du Blanc-Mesnil, où l’on partage d’une façon originale la vie des cités, et où Marina da Silva dirige le bimestriel Vu d’ici , écrit par les habitants. Elles ne sont jamais montées sur scène, mais, avec un peu de culot et beaucoup de timidité, elles se sont lancées dans cette aventure difficile et exceptionnelle : jouer leur propre vie réécrite par un écrivain. La première a eu lieu le 6 mars au Forum de leur ville, et l’expérience se répètera, si le spectacle est demandé ici ou là.

« C’est leur texte, je suis une passeuse », défend Elsa Solal, qui a interrogé et écouté ces femmes (et quelques autres) pendant plusieurs mois. L’auteur d’ Armor emmène ses nouvelles comédiennes en visite à l’Assemblée nationale. Certaines se disent un peu surprises par les peintures de Delacroix, où elles trouvent trop de nudité. Puis elles poursuivent leur visite, impressionnées par la solennité du lieu. Elles s’étonnent : « Je te dis, monsieur l’huissier, que cinq cents mecs pour représenter la France dans sa diversité, c’est un peu juste, non ? » Leurs souffrances, leur passé (les atrocités de la colonisation française pour la plus âgée), leurs espoirs surgissent. Elles se confient, se rebellent, vont de la religion aux problèmes du pouvoir masculin et de la pauvreté. « Vive la République ! » , disent-elles, quand même.

Philippe Boulay a mis en scène la pièce tirée de leurs témoignages, après avoir suivi les entretiens d’Elsa Solal. Le spectacle est intégré au programme de sa compagnie, le Tournesol, qui pratique le théâtre au Blanc-Mesnil avec un souci passionné de la population (ce qui n’empêche pas Boulay de faire des mises en scène dans de grandes structures françaises et à l’étranger). « Ce fut très singulier , confie le metteur en scène. Dans ce groupe, à l’identité collective forte, chacune a dû se positionner par rapport à ses parents, ses enfants, soi-même, affronter le regard de l’autre. Les noms ont été changés, mais ces femmes jouent leurs vies. Les questions d’identité, d’aliénation et de domination ont bousculé le groupe de façon très vive. En faisant cette pièce ensemble, nous nous sommes placés sur un terrain qui pose un problème à la classe politique et aux différentes gauches. Ce n’est pas exactement du Pippo Delbono, mais il y a quelque chose de commun avec lui. C’est beaucoup plus important de faire ce spectacle que de monter une pièce sans enjeu, c’est faire du théâtre en se posant différemment la question du théâtre. »

Parmi ces femmes, certaines ne savent pas lire. D’autres écrivent mal (elles « crabouillent », disent-elles). D’autres encore manient la langue superbement. Mais toutes touchent autant, et parfois davantage que des têtes d’affiche.

Culture
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