Conte moral ou politique ?

« La Meilleure Part des hommes », de Tristan Garcia,
se veut le portrait des années sida à Paris. Un premier roman un peu trop malin pour être honnête.

Christophe Kantcheff  • 28 août 2008 abonné·es

Que lit-on dans l a Meilleure Part des hommes, le premier roman de Tristan Garcia ? Le portrait croisé de trois personnages prétendument emblématiques d’une époque, les années 1980 : Dominique Rossi, homosexuel tôt politisé, journaliste historique de Libération , fondateur d’une association de défense des malades du sida ; William Miller, ou Willie, homosexuel lui aussi, fils de prolo d’Amiens, qui devient une figure trash et médiatique du mouvement gay ; enfin Jean-Michel Leibovitz, intellectuel ex-gauchiste qui se croit anticonformiste en défendant l’ordre et les « vraies » valeurs du républicanisme obtus. Leur histoire est racontée par Élisabeth, journaliste de l’air du temps à Libé elle aussi, sans beaucoup d’intérêt selon ses propres dires, sinon celui de se faire la narratrice des histoires de ceux qui en ont, de l’intérêt.
Bref, la Meilleure Part des hommes dresse le tableau d’une époque, que l’éditeur nomme par ces mots sur le bandeau qui enserre le livre : « Paris, années Sida » , et que l’auteur caractérise avec un peu plus de précision : « Les années quatre-vingt furent horribles pour toute forme d’esprit ou de culture, exception faite des médias télévisuels, du libéralisme économique et de l’homosexualité occidentale. »
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Il y a fort à parier que ce premier roman plaira, du moins aux médias, toujours réjouis que la littérature donne dans le pseudo-sociologique ou le pseudo-historique. C’est que *la Meilleure Part des hommes
n’est pas dénué d’habileté. Tristan Garcia a la plume cursive et efficace. Il sait raconter de façon enlevée, et se montre parfois drôle, notamment dans l’épisode où Willie, devenu écrivain foireux à succès, doit se rendre à l’ANPE pour régulariser sa situation, et tyrannise par l’absurde l’agent chargé de son cas. Mais le mordant de son style n’est pas toujours heureux, en particulier lorsqu’il rappelle la vieille soupe des néo-hussards (Neuhoff, Besson…).
Et puis, quelque chose gêne dans les précisions données par l’auteur dans les « marges » de son livre. Sur la quatrième de couverture, où est pourtant indiquée sa date de naissance – 1981 –, Tristan Garcia croit devoir préciser qu’il ne s’agit pas là d’une « autofiction » pour mieux renvoyer son livre vers le « conte moral » . Mais, simultanément, il explique que « si le lecteur juge […] que [les personnages] ressemblent sous certains aspects à certaines personnes réelles […], c’est simplement parce que, plongés dans des situations parfois comparables, personnes et personnages n’agissent pas autrement ».

Tristan Garcia jouerait-il sur les deux tableaux, la fiction et l’effet de reconnaissance ? Par exemple, en nommant Stand-UP l’association créée par Dominique Rossi, ne colore-t-il pas cette association « fictive » de ce que représente dans la réalité Act-Up ? Dès lors, l’alliance finale et forte que l’auteur réalise entre le militant de la prévention – Dominique – et le décalque de Finkielkraut – Leibovitz – contre le chantre de la baise sans capote – Willie – n’est-elle pas un tant soit peu absurde ? Ou bien ne relève-t-elle pas d’une vision qui se croit futée et n’est que réactionnaire ? La Meilleure Part des hommes est peut-être un « conte moral » . Il n’échappe pas à sa dimension politique, hélas.

Culture
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