Courrier des lecteurs Politis 1019

Politis  • 25 septembre 2008 abonné·es

Le Parti des « ex »

J’ai assisté au débat de Politis à la Fête de l’Humanité . Quel beau plateau avec des orateurs appartenant pratiquement à tous les courants de pensée de la gauche ! Mais quel dommage qu’il n’ait pas été possible de donner la parole à la salle, ce débat étant reporté au 11 octobre. Provincial, je me sens frustré : encore une fois, ce sont les Franciliens qui vont décider pour la France entière. D’où ce courriel. Ce qui me préoccupe le plus en effet est le constat suivant :
J’ai noté qu’aucun orateur ne parlait au nom de son parti ( à part la LCR, qui n’est pas pour l’instant partie prenante) mais, au mieux, au nom de sa tendance, voire en son nom personnel. J’ai noté également qu’un certain nombre ont demandé à attendre le congrès de leur parti (et j’ai entendu Gayssot en dire autant au stand à côté). Que va-t-il donc se passer le 11 octobre, sinon la mise en place d’un collectif de personnes qui s’efforceront d’influencer leurs partis respectifs dans le sens d’une meilleure coordination pour une plus grande efficacité ? Ça n’est déjà pas si mal, mais je suis persuadé que l’on peut aller plus loin à condition de ne pas ignorer le plus grand – et de loin – de tous les partis politiques de gauche, celui des « ex », de ceux qui ont arrêté de militer, qui ont quitté leur parti ou même leur syndicat, souvent écœurés par ce qu’ils considéraient comme une trahison, ou tout simplement parce qu’ils ne croyaient plus à l’efficacité de ce qui leur était proposé. Ils sont en attente d’autre chose, ils sont sans doute nombreux à avoir signé l’appel de Politis , ne les oubliez pas le 11 octobre.

Jean-Claude Baudure

Afghanistan

«Lorsqu’on envoie une armée guerrière d’un pays [dans un autre pays], c’est qu’on lui a déclaré la guerre. Lorsque vous êtes un garçon de 20 ans à peine sorti du lycée et que vous retrouvez le corps de camarades égorgés et mutilés, vous perdez le contrôle de vous-même. »
S’agit-il ici du propos récent d’un de nos hommes politiques ou d’un proche des soldats (français ou autres) tués récemment en Afghanistan ? Pas du tout. Il s’agit de quelques lignes tirées d’un entretien donné par Germaine Tillon à Jean Lacouture en 1997 ( la Traversée du Mal, Arléa, 2002). Germaine Tillon (dont une belle évocation du parcours entre l’Algérie, la Résistance et le camp de Ravensbrück vient de s’achever, à Paris, au musée de l’Homme) applique ce propos à la guerre d’Algérie.
Ce que l’on doit souligner aujourd’hui, c’est que, malgré la différence des contextes de ces guerres, la mise en place des mécanismes reste identique. Premier constat : ce qui fut vrai en Algérie il y a un demi-siècle est à l’œuvre maintenant en Afghanistan. Que fait donc l’armée française (et l’armée allemande, etc.) dans ce pays ? Qui peut croire qu’elle va y établir la paix et la démocratie ? À la demande de qui, avec quels moyens ?
Autre constat, cette fois-ci dans le vocabulaire qui habille cette intervention de notre armée : l’usage du mot « terrorisme » se banalise complètement dans la plupart des médias et dans les propos de nos représentants démocratiquement désignés.
Ce mot ne désigne plus seulement, bien souvent, une action meurtrière délibérée contre des civils, mais une quelconque action d’opposition, de contestation ou de résistance.
Germaine Tillons, qui revint vivante des camps nazis, ne fait pas cette confusion : un résistant n’est pas automatiquement un terroriste. De plus, elle s’est longuement interrogée sur la relation entre fanatisme et misère. Mais tout cela est dépassé, n’est-ce pas ? C’était il y a si longtemps…

René Queyrast

Alexandra Boulat

J’ai trouvé très bon l’article paru dans le n° 1016 de Politis sur Visa pour l’image, à Perpignan.
Mais je voudrais apporter un bémol à l’analyse concernant la photojournaliste Alexandra Boulat. Ayant remarqué son commentaire mensonger du déclenchement de l’Intifada – l’armée israélienne aurait répliqué à une agression palestinienne contre des juifs en prière au mur des Lamentations, alors que c’est la visite de Sharon sur l’esplanade des Mosquées qui
a déclenché les hostilités –, j’ai cherché à la librairie de Visa pour l’image quelque chose la concernant. Et j’ai trouvé : son livre de photos est préfacé par Bernard-Henri Lévy. Malgré la qualité des photos, on sent que les commentaires et la sélection qui est faite des malheurs du monde choisissent d’appuyer de préférence les néoconservateurs.
Par ailleurs, une table ronde animée par Christian Salmon, Patrick Champagne, Gary Knight, photojournaliste, Olivier Royant, directeur de la rédaction de Paris Match, et Robert Ménard a été intéressante. Ce dernier, interrogé par un photojournaliste d’ El Watan , a reconnu qu’il était interdit en France de critiquer Israël, que lorsqu’il avait osé émettre des réserves, cela avait provoqué des réactions virulentes, et que donc il n’en parlait pas…

Céline Maury-Moraguès

Récession et décroissance

C’est un bien inutile coup de griffe que donne insidieusement Michel Husson aux militants de la décroissance, dans la rubrique « À contre-courant » du n° 1016, en identifiant la décroissance à la récession et, à partir de là, en soutenant fort aisément qu’ « elle ne nous rapproche en rien d’un mode de développement plus soutenable ».
S’il avait lu avec ouverture d’esprit les écrits des objecteurs de croissance (Gorz, Ariès, Latouche et d’autres), il aurait compris qu’ils sont les premiers à dire que la récession est la pire des choses, en particulier pour les « économiquement faibles » (comme on disait autrefois) dans une société de croissance. Et que la décroissance dont ils parlent n’est pas le clone inversé de la croissance telle que l’entendent les économistes, y compris progressistes, comme l’est d’ailleurs Michel Husson. D’où ce malentendu entretenu à plaisir par certains : « Il n’est pire sourd que… »
La croissance, au sens académique, s’entend strictement dans le registre de l’économie quantitative et capitaliste, pertinemment analysée par Michel Husson, mesurée par le PIB… dont l’incongruité n’est plus à démontrer, je pense. De ce fait, cette croissance constamment invoquée comme solution miracle au constat désolé des inégalités n’a pas besoin d’être habillée du qualitatif « capitaliste », comme le requiert Michel Husson, puisque, dans la société réelle où nous nous interpellons les uns les autres, c’est bien en pleine économie capitaliste que nous sommes immergés. Il n’y a, hélas, aucun risque de méprise.
En revanche, la « décroissance équitable » que nous sommes de plus en plus nombreux à agiter comme un étendard de contestation est assez indifférente aux fluctuations erratiques du PIB, et se distingue en cela de la récession. Elle est partie prenante d’un projet de société alternatif où le citoyen ne serait plus réduit à son statut économique, où la recherche d’une qualité du « vivre ensemble » – impliquant, c’est évident, un partage beaucoup plus équitable du volume de biens et services disponibles – l’emporterait sur la logique aliénante (productiviste/consumériste) propre au capitalisme. Où la conscience de notre appartenance à un écosystème « Terre » bien fragilisé imposerait un changement d’imaginaire social… permettant in extremis (il y a urgence !) l’invention d’un nouvel art de vivre fait de mesure, tant au niveau individuel (autolimitation ou sobriété volontaire) qu’au niveau institutionnel et politique (économie économe et solidaire).
C’est tout ce programme, cette utopie nécessaire de notre siècle que porte en réalité le « mot-obus » (selon Ariès) de décroissance, qui, à défaut peut-être de « poser le débat de bonne manière », a au moins le mérite de le provoquer.

Jacques Bonnet, Montmirail (Drôme)

P.-S. : Ayant Michel Husson en grande estime, j’aimerais connaître son avis sur le livre de Jean Vassileff intitulé le Partage contre la croissance, qui, entre autres, apporte des éléments de réponses à ceux, tel Serge Seninsky, un lecteur de Politis (dans le courrier du même numéro), qui s’interrogent sur la faisabilité d’un « revenu maximum autorisé ».

Laïcité « positive » ?

L’ardeur et l’insistance avec lesquelles le président de la République s’échine à promouvoir le concept de « laïcité positive » ne doivent pas induire en erreur qui que ce soit. Ce n’est pas vers un raffermissement de la nécessaire séparation des sphères publique et privée que les efforts de Nicolas Sarkozy tendent, mais davantage à l’émergence d’une forme renouvelée de cléricalisme visant à inscrire plus profondément le fait religieux à la fois dans l’espace public et les mentalités, à l’imitation du modèle américain. En réalité, c’est la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 qui se trouve dans la ligne de mire. S’y attaquer frontalement s’avérerait contre-productif tant nos concitoyens y restent malgré tout attachés. La stratégie consiste par conséquent à la saper dans ses fondements de manière détournée, en feignant même de porter un vague attachement à une laïcité mal identifiée ou dénaturée.
Il est bien difficile de discerner des différences significatives entre cette laïcité positive, que même le pape Benoît XVI s’empresse de reprendre à son compte, et la « laïcité ouverte » abondamment relayée par certains adversaires de gauche d’une loi interdisant les signes religieux à l’école. Les similitudes sont en effet très grandes entre ces deux conceptions. La laïcité est au contraire une notion qui se suffit à elle-même : il n’est nul besoin d’y accoler de quelconques adjectifs pour la désigner, sauf à vouloir en offrir une version rabougrie et restrictive. Cette profusion d’épithètes (comme si la laïcité, principe dont la finalité est de dépasser les différences en vue de constituer un espace commun cimenté par des valeurs à visée universaliste, pouvait être négative et fermée) la vide de sa substance. Cette logique conduit à ignorer ou à obscurcir le rôle fondamental de la laïcité dans les processus d’enracinement de la République et d’approfondissement de la démocratie, ne serait-ce qu’en termes d’égalité, de souveraineté populaire et de libertés. La laïcité possède à la fois un patrimoine, une actualité et un avenir.

Francis Daspe, secrétaire de l’Agaureps-Prométhée

Courrier des lecteurs
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