« Notre pacte social vole en éclats »

Psychiatre au centre hospitalier de Cadillac (Gironde),
Pierre Faraggi* revient sur la crise de l’hôpital public et alerte
sur les tensions particulières qui tiraillent la psychiatrie.

Ingrid Merckx  • 8 janvier 2009 abonné·es

Illustration - « Notre pacte social vole en éclats »

Le budget de la psychiatrie a chuté de 10 % en 3 ans, alors que l’activité explose.
Ksiazek/AFP

Hôpitaux psychiatriques, services d’urgences et de réanimation… Des faits alarmants, comme la mort récente d’un patient cardiaque refusé par plus de vingt établissements, ont mis en évidence des défaillances dans le système hospitalier. La crise de l’hôpital public se manifeste-t-elle ?d’abord par un manque de lits et de personnel ?

Pierre Faraggi : C’est très variable selon les disciplines et les régions, mais c’est un fait. Alors que les besoins de santé connaissent une croissance forte, les budgets hospitaliers ont diminué ces dernières années. À cela s’ajoutent des problèmes d’effectifs : en plus de la crise des recrutements, les remplacements de personnel sont freinés par souci d’économie. Dans certaines disciplines, on a le plus grand mal à trouver des soignants formés. Ces problèmes vont s’amplifier. Face à cela, les pouvoirs publics continuent à répéter que l’hôpital coûte trop cher. C’est une vision complètement idéologique : l’hôpital public représente environ un tiers des dépenses de santé, et non pas plus de la moitié comme on l’entend répéter. Dans notre pacte social, il était admis que chacun avait droit aux meilleurs soins quels que soient ses moyens. Ce pacte est en train de voler en éclats. Décider de continuer à l’assumer est un choix politique et un choix de société, et cela a un coût.

Roselyne Bachelot, ministre de la Santé, met en cause la « mauvaise organisation » de l’hôpital…

L’hôpital souffre d’une accumulation de réformes. Pourquoi en entamer une nouvelle en 2009 [la loi « Hôpital, patients, santé et territoires » (HPST), ndlr] alors qu’on n’a pas encore fini de mettre en œuvre les précédentes ? La loi sur les 35 heures est montrée du doigt. Mais le problème, c’est qu’elle n’a pas été appliquée jusqu’au bout ! Cette loi prévoyait des recrutements compensatoires dans les hôpitaux de personnel médical et paramédical, qui n’ont été effectués que très partiellement. Du coup, les hospitaliers travaillent plus qu’auparavant et dans des conditions encore plus difficiles… Personne ne travaille vraiment 35 heures à l’hôpital. Ce qui est en jeu, c’est l’application des mesures compensatoires et le règlement des heures supplémentaires ou du temps additionnel : pour nombre de praticiens, ce n’est pas encore acté.

Sommes-nous face à un risque de catastrophe sanitaire ?

Avec beaucoup de difficultés certes, mais grâce au dévouement de ses personnels, notre outil hospitalier tourne encore à peu près. Cela dit, si nous continuons à désorganiser l’hôpital, à lui rogner les ailes et à négliger la répartition des professionnels de santé entre les disciplines, les exercices publics et privés et les régions, on va voir émerger des déserts sanitaires où des catastrophes pourront avoir lieu.

Vous avez signé avec plusieurs collègues un appel dans lequel vous dénoncez une « privatisation progressive de l’hôpital public ». En quoi le mode de financement actuel marque-t-il le passage d’un système de santé solidaire à un système mixte, avec un recours accru aux assurances ?

Cela sera la conséquence de notre système de tarification à l’activité, qui privilégie la production d’actes rémunérateurs et ne reconnaît pas comme tels les missions de service public ou la prise en charge éventuellement au long cours des polypathologies ou le surcoût des détresses sociales. Seul l’hôpital public se donne pour mission d’accueillir tous les patients et toutes les pathologies. Année après année, cela devient plus difficile de garantir cet accès aux soins pour tous. Si l’on reste dans le cadre du mode de financement actuel, il faudrait mieux équilibrer les taches et les obligations entre établissements publics et privés, et que ceux-ci s’engagent à assumer une partie des missions du service public. Sans quoi, l’hôpital va continuer à s’endetter ou devoir réduire sa mission.

Que pensez-vous de la réforme de l’hospitalisation psychiatrique que prépare Nicolas Sarkozy ?

Nicolas Sarkozy, à partir d’un fait divers, certes dramatique, aborde la psychiatrie sous un angle exclusivement sécuritaire. Alors que la psychiatrie a fait un bond considérable ces cinquante dernières années en soignant sans hospitalisation ou avec des hospitalisations très courtes la grande majorité de ses patients, et en réinsérant la plupart des malades mentaux, l’accent mis par le Président sur la seule dangerosité, qui ne concerne qu’un nombre infime des 1,2 million de patients suivis chaque année, est un contresens et une stigmatisation insupportable pour tous les malades.
Il est vrai que certains patients, mais en nombre très limité, peuvent poser des problèmes de sécurité pour les autres malades, les soignants et, en cas de sortie non autorisée, la population. Comme dans les affaires récentes de Saint-Egrève ou de Marseille, il s’agit le plus souvent de personnes qui ont commis des actes criminels et ont été jugées irresponsables de par leurs troubles mentaux. Elles ont été placées en unité pour malades difficiles (UMD) puis, après stabilisation et dans une perspective de réinsertion, dans un service ordinaire de psychiatrie. Dans ces services polyvalents où elles sont accueillies avec les autres patients, elles posent des problèmes de surveillance, en plus de leur prise en charge. Cette mission est rendue encore plus difficile du fait de la réduction considérable du nombre de lits en psychiatrie ces vingt dernières années. La grande majorité des psychiatres hospitaliers est donc favorable à la prise en charge de ces patients dans des unités spécialement aménagées.
Quant aux propositions du Président, nous ne souscrivons pas à l’idée de la « géolocalisation » (avec bracelets électroniques), qui ne correspond pas à nos besoins et nous paraît attentatoire à la dignité des malades et incompatible avec un projet de soin. En revanche, nous adhérons à sa proposition d’augmenter le nombre de places en UMD, ce que nous réclamons depuis des années, et à l’accélération de la réalisation du programme d’une dizaine d’unités d’hospitalisation spécialement aménagées (UHSA) pour des détenus présentant des troubles psychiatriques graves.


Comment expliquer que la situation ait continué à se dégrader malgré le plan de santé mentale de 2004 ? Qu’apportera la loi HPST ?

Le plan de santé mentale n’était pas du tout à la mesure des enjeux. Le budget de la psychiatrie a chuté de près de 10 % en trois ans cependant que l’activité explose, les demandes de soins psychiatriques pour les adultes et enfants, et tout particulièrement pour les personnes en situation de précarisation ou d’exclusion, sont en augmentation constante. S’y ajoutent des difficultés de recrutement du personnel. Qu’attendre des réformes en cours ? À l’exception des agences régionales de santé et du bénéfice d’un pilotage unifié pour la ville, l’hôpital et le médico-social, nous restons très critiques à l’égard du projet de loi HPST. Édouard Couty, ancien directeur de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, a été chargé d’articuler le fonctionnement de la psychiatrie avec le projet HPST. Formons le vœu que l’organisation en secteurs avec son remarquable réseau ville-hôpital soit respectée dans les nouveaux territoires sanitaires, et redotée à la hauteur de l’activité et des missions actuelles.

Pour en savoir plus : www.pour-politis.org

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