Le début d’une histoire commune ?

Vincent Peillon et les amis de Ségolène Royal ont esquissé un projet d’alliance avec le MoDem. Une perspective officiellement rejetée par le PS, mais approuvée par Daniel Cohn-Bendit et Robert Hue.

Michel Soudais  • 27 août 2009 abonné·es
Le début d’une histoire commune ?

La photo de famille est inédite. Jamais jusqu’ici un tel cliché n’avait réuni des figures du PS, des Verts, du PCF et du PRG avec un représentant du MoDem. Réunis les 21 et 22 août à Marseille pour des « ateliers d’été », Vincent Peillon et les amis de Ségolène Royal, regroupés dans le courant l’Espoir à gauche, ont transformé leur rendez-vous en un événement médiatico-politique, esquissant un projet d’alliance avec le parti de François Bayrou. Anticipation ou provocation ? S’il est trop tôt pour se prononcer sur les suites de cette initiative – un « événement historique dans l’histoire de la gauche française » , dira Vincent Peillon –, sa dimension provocatrice n’est pas contestable.

En invitant Marielle de Sarnez, vice-présidente du MoDem, Daniel Cohn-Bendit, des Verts, l’ex-secrétaire national du PCF Robert Hue, et la députée (PRG) de Guyane Christiane Taubira à débattre des conditions de ce rassemblement en clôture de leurs travaux, les responsables de l’Espoir à gauche ont sciemment fait preuve d’indiscipline. Comme l’a rappelé Benoît Hamon dans un entretien au Parisien (21 août), «  la question a été tranchée au congrès de Reims. La majorité autour de Martine Aubry s’est construite autour de la priorité au rassemblement de la gauche et du refus de toute alliance avec le MoDem » . Signe de leur détermination à passer outre cette décision de congrès, les organisateurs avaient sollicité les interventions de deux autres représentants du MoDem. Le député européen Jean-Luc Bennahmias a ainsi planché sur la construction d’un nouveau modèle de développement après la défaite du modèle libéral, tandis que Jean-François Kahn débattait du nouveau progressisme européen qui pourrait naître de la crise de la social-démocratie.
Pour justifier la transgression de son courant, Vincent Peillon avance qu’une telle alliance est le seul moyen d’espérer gagner contre Nicolas Sarkozy en 2012. « Toutes les grandes victoires politiques ont supposé l’invention d’un nouveau système d’alliance » , explique-t-il. Après l’union de la gauche et la gauche plurielle, l’heure serait à la constitution d’une grande alliance du MoDem au PCF.

À la tribune, la surprise vient de Marielle de Sarnez. La vice-présidente du MoDem, fidèle entre les fidèles de François Bayrou, qui a la réputation de ne rien entreprendre sans l’aval de cette eurodéputée, parle lentement, pèse et soupèse ses mots. « Nous venons d’horizons divers, mais si nous croyons qu’il y a de l’insupportable dans ce qui se fait aujourd’hui, si nous croyons qu’un nouveau monde est à dessiner, alors ce qui nous rassemble est plus fort que ce qui nous divise. » « C’est plus qu’une main tendue », commente, réjoui, le président de la « fondation progressiste » Terra Nova, Olivier Ferrand, qui sera à l’université d’été du MoDem.
Assurant parler « au nom d’une famille politique qui a coupé ses amarres pour rester fidèle à ses valeurs » , Marielle de Sarnez soutient que son parti ne se résoudra jamais à « la croissance des inégalités » et veut construire une « démocratie respectueuse et durable » . Elle propose, entre autres, de plafonner les hauts salaires, de « pénaliser le court terme dans les opérations financières » , suggérant de reprendre le projet de taxe Tobin, ou de nommer dans les banques un représentant de l’État au sein des conseils d’administration, «  avec droit de veto quand c’est contraire à l’intérêt général » , comme pour mieux tourner la page d’un certain centrisme.

« Tous ceux qui n’ont pas renoncé à l’idéal républicain ont […] à construire ensemble un espoir pour notre peuple. […] E nsemble, pas les uns sans les autres, pas les uns contre les autres. » Critiquant le « jeu des alliances anciennes » , elle exhorte à « bouger les lignes ». « Les temps appellent des comportements nouveaux » , insiste-t-elle. « Ce que nous avons à construire ensemble est plus grand que ce que nous sommes », conclut-elle, saluée par une standing ovation du millier de participants et une tribune non moins satisfaite d’avoir entendu « Marielle » mettre « la barre à gauche » , selon l’expression du socialiste François Rebsamen.

Intervenant à la suite de ce discours « essentiel » , Robert Hue plaide pour un « effort de novation historique » , un nouveau « compromis historique » qui permette à la gauche de retrouver le chemin du pouvoir. « Le pouvoir, ça nous intéresse, c’est même ça qui nous différencie des thèses gauchistes » , lance le sénateur communiste du Val-d’Oise, qui a pris l’an dernier ses distances avec le parti dont il a été le secrétaire national, et a créé son club, le Nouvel Espace progressiste (NEP). « Le compromis historique [prôné par] Enrico Berlinguer » qui a vu dans les années 1970 les communistes italiens tenter en vain de s’allier avec la Démocratie chrétienne (DC) pour accéder au pouvoir était « une idée juste » , précise-t-il, non sans ajouter que certains « sont morts pour ça », faisant sans doute allusion à Aldo Moro, dirigeant de la DC et partisan du compromis, assassiné en 1978.

Daniel Cohn-Bendit, qui venait de plaider pour une entente avec le MoDem aux journées d’été d’Europe Écologie, réclame des preuves de bonne volonté au PS, notamment ­l’inventaire des points sur lesquels la gauche a échoué quand elle était au pouvoir. Et le renoncement du PS à toute tentation hégémonique. « Si vous voulez un rassemblement où, à la fin, c’est vous et vous seuls qui décidez alors que nous, on n’aura qu’une chambre de bonne, une chose est sûre, en 2012, le président de la République, ce sera Nicolas Sarkozy » , a-t-il lancé. Pour gagner, les anti-Sarkozy doivent, selon lui, « moderniser aussi [leur] langage politique ». « Un rassemblement classique de la gauche et des progressistes » , terme qu’il récuse au nom de la critique écolo du progrès, n’aurait « pas de majorité » , prévient-il, suggérant de « rassembler autour des idées fondamentales, écologistes, sociales, démocratiques ».

Seule voix un tantinet discordante, Christiane Taubira s’est défendue de vouloir « gâter la sauce » en invitant un auditoire « prêt à embrasser tout le monde sur la bouche » à « constater tout de même les désaccords » tout en étant « capable » de les dépasser. « Nous avons à faire l’inventaire de nos pratiques de pouvoir, entendre l’inventaire des pratiques de pouvoir des autres » , a-t-elle dit.

En réponse à Daniel Cohn-Bendit, Vincent Peillon, qui n’appartient pas à la direction du PS, a accepté l’idée que celui-ci renonce au leadership de la gauche. « Nous disons “chiche”. À égalité de droits et de devoirs, construisons la gauche et la France de demain. » Un site Internet commun sera lancé dans les jours qui viennent, et des réunions décentralisées organisées après les élections régionales de 2010, a-t-il annoncé.
D’ici là, les dirigeants de l’Espoir à gauche espèrent bien imposer au PS l’organisation de primaires ouvertes pour désigner le candidat de leur « nouvelle gauche » à l’élection présidentielle de 2012. Ils feront pression en ce sens, persuadés que de telles primaires, auxquelles un atelier était consacré, constituent selon le mot de Manuel Valls « l’occasion d’un formidable dépassement » du PS. De «  transformer le parti » dans des conditions que ne permettent pas ses statuts actuels, explique Patrick Allemand, premier secrétaire fédéral des Alpes-Maritimes.
Des primaires perçues comme la meilleure chance de « transgresser certaines frontières » , exercice dont la réunion de Marseille a donné un avant-goût.

Politique
Temps de lecture : 6 minutes

Pour aller plus loin…