Une taxe inadaptée

La « taxe carbone » a le tort
de ne pas prendre en compte la production d’électricité.
C’est la consommation finale de tous les produits énergétiques qui devrait être taxée.

Benjamin Dessus  • 10 septembre 2009 abonné·es
Une taxe inadaptée

La cacophonie la plus complète règne à propos de la « taxe carbone » proposée par le rapport Rocard ! Indépendamment des nombreuses questions que pose sa place dans la politique fiscale de la France, les déclarations démagogiques, les annonces contradictoires sur son montant initial et son assiette, les protestations des collectivités locales, des consommateurs et des syndicats devant les inégalités qu’elle risque de renforcer font que personne n’y comprend plus rien.
Revenons donc à l’origine de cette affaire.

Dans l’esprit du Grenelle de l’environnement, l’institution d’une « contribution climat énergie » poursuivait plusieurs buts : réduire la consommation des combustibles fossiles, largement responsables de l’augmentation de l’effet de serre et dont les réserves ne sont pas inépuisables, mais aussi rendre les consommateurs moins dépendants des différents produits énergétiques, dont on peut anticiper à court et moyen termes une forte hausse de prix dans un contexte de raréfaction des ressources fossiles et fissiles, des territoires susceptibles d’être consacrés à des cultures énergétiques, à des centrales solaires, etc. Enfin, prendre en compte les nuisances auxquelles n’échappe aucun des moyens de production d’énergie (accidents majeurs, prolifération, matières dangereuses et déchets pour le nucléaire, dégâts à la biodiversité et concurrence avec les besoins alimentaires pour les plantations énergétiques, problèmes paysagers pour les éoliennes, déplacements de population et dégâts environnementaux pour les grands barrages, etc.).
Mais cette proposition initiale a dérivé vers une contribution purement axée sur le contenu en CO2. Les premiers bénéficiaires de cette dérive sont les producteurs d’électricité nucléaire, mais aussi les producteurs d’énergies renouvelables (électriques ou non).
François Fillon vient de sembler donner raison à EDF, qui repousse l’idée d’une taxation de l’électricité, au prétexte que 90 % de sa production (nucléaire et hydraulique) ne produit pas de CO2 et que la part produite à partir de combustibles fossiles est déjà taxée à travers les quotas d’émissions.

Pourtant, ce raisonnement repose sur plusieurs contrevérités :

– Il fait semblant de croire que le Grenelle de l’environnement ne s’est intéressé qu’à l’effet de serre à l’exclusion des autres effets négatifs d’environnement des différentes sources énergétiques.

– Il fait comme si la totalité de l’électricité distribuée en France était entièrement produite sur le territoire national et donc faiblement émettrice de CO2. Or, depuis la déréglementation du marché européen, les fournisseurs privilégient les sources délivrant le meilleur prix instantané sur le marché, qu’il s’agisse de nucléaire, de charbon ou de gaz.

– Il oublie de rappeler que d’autres producteurs d’énergie, comme l’industrie de transformation des produits pétroliers, sont soumis à des quotas d’émission de CO2, ce qui n’empêcherait pas l’application de la taxe en discussion sur les produits finaux, à la pompe. Pourquoi pas sur l’électricité, dès lors ?

Si l’on s’en tient aux principes qui guidaient le Grenelle de l’environnement, on voit bien qu’une taxation de l’électricité est tout à fait justifiée. En effet, devant l’augmentation du prix des combustibles fossiles engendrée par la taxe, le consommateur va se tourner vers l’électricité pour des usages non spécifiques, en particulier pour le chauffage domestique, plutôt que de se lancer dans des investissements d’économie d’énergie. Ces usages se traduiront par une augmentation du recours aux combustibles fossiles. On sait en effet, grâce à une étude de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) et du gestionnaire du Réseau de transport de l’électricité (RTE), que le contenu en CO2 du kWh fourni au chauffage électrique des logements en France se situe autour de 500 g, bien plus qu’un chauffage au gaz (autour de 200 g) ou au fioul (de l’ordre de 300 g). Parce que la pointe d’hiver engendrée par le chauffage domestique fait appel à de l’électricité importée, qui dans les quinze à vingt ans qui viennent restera très émettrice de CO2 – charbon principalement, et gaz.

Par conséquent, en « oubliant » de taxer l’électricité, on fera semblant d’ignorer les effets externes négatifs du nucléaire, on oubliera de rappeler au consommateur qu’il serait bête de gaspiller l’électricité renouvelable, alors qu’elle restera durablement difficile à produire et présente aussi des inconvénients, même s’ils sont moindres. En plus, on contribuera à freiner les investissements de maîtrise de l’énergie tout en accélérant la contribution de l’électricité aux émissions de CO2… Une vraie politique de Gribouille, pour satisfaire un lobby toujours plus exigeant.
Toutes les études, y compris celles de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), confirment que le meilleur moyen de réduire les émissions de CO2 et de renforcer la sécurité énergétique est la sobriété et l’efficacité énergétiques au niveau de la consommation finale. Si taxe il doit y avoir, elle doit porter en premier lieu sur la consommation finale de tous les produits énergétiques, dont évidemment l’électricité.

Idées
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !
Essais 5 décembre 2025 abonné·es

Désoccidentalisez… il en restera bien quelque chose !

À travers deux ouvrages distincts, parus avec trente ans d’écart, le politiste Thomas Brisson et l’intellectuel haïtien Rolph-Michel Trouillot interrogent l’hégémonie culturelle des savoirs occidentaux et leur ambivalence lorsqu’ils sont teintés de progressisme.
Par Olivier Doubre
Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »
Entretien 4 décembre 2025 abonné·es

Appel des intellectuels de 1995 : « Bourdieu a amendé notre texte, en lui donnant une grande notoriété »

L’historienne Michèle Riot-Sarcey a coécrit avec quatre autres chercheur·es la première version de l’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes, alors que le mouvement social de fin 1995 battait son plein. L’historienne revient sur la genèse de ce texte, qui marqua un tournant dans le mouvement social en cours.
Par Olivier Doubre
L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement
Histoire 4 décembre 2025

L’Appel des intellectuels en soutien aux grévistes de 1995, tel que rédigé initialement

Ce texte fut ensuite amendé par certains militants et grandes signatures, en premier lieu celle de Pierre Bourdieu. Mais les cinq rédacteurs de sa première version – qu’a retrouvée Michèle Riot-Sarcey et que nous publions grâce à ses bons soins – se voulaient d’abord une réponse aux soutiens au plan gouvernemental.
Par Olivier Doubre
Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »
Entretien 3 décembre 2025 abonné·es

Romane Bohringer : « Les mères défaillantes ont besoin de soins, pas d’être jugées »

Dans Dites-lui que je l’aime, adaptation très libre du livre éponyme de Clémentine Autain, aussi présente dans le film, la réalisatrice rend hommage à des femmes, leurs mères, dans l’incapacité d’exprimer leur amour à leur enfant. Elle explique ici comment elle a construit son film à partir du texte de l’autrice, en qui elle a reconnu un lien de gémellité.
Par Christophe Kantcheff