Pitié pour les éditocrates !

Un livre collectif épingle quelques signatures omniprésentes dans nos médias. À lire, malgré tout…

Denis Sieffert  • 19 novembre 2009 abonné·es

Attention, danger ! Voici un ouvrage qui vilipende l’éditocratie, cette petite manie qui consiste à avoir « un avis sur tout » et, subséquemment, l’ « obsession de le faire partager au plus grand nombre » . Il s’en faudrait de peu qu’on se sente visé ! Qui plus est, ses auteurs, qui dénoncent avec véhémence les copinages, les retours d’ascenseur, les petits accommodements entre amis, ne nous sont pas totalement inconnus…
On échappera donc comme on peut à l’effet boomerang en affirmant par exemple, et d’emblée, que le principe de ce livre est « discutable », et ses auteurs, évidemment « controversés ». Cela ne veut rien dire, mais il n’y a pas mieux pour brouiller les pistes et transformer le chasseur en gibier.

Allons donc au fait. Les plumitifs Mona Chollet, Olivier Cyran, Sébastien Fontenelle et Mathias Reymond s’en prennent à des « éditocrates » qui auraient gagné à être connus et qui n’ont que peu l’occasion de s’exprimer : citons le scrupuleux Bernard-Henri Lévy, le pigiste précaire Alain Duhamel, le tendre et nuancé Alexandre Adler, l’humble Christian ­Barbier, le discret Jacques Attali (auteur inlassable et anonyme de tant de thèses d’étudiants paresseux), le courageux Philippe Val (toujours à contre-courant des opinions dominantes), ou encore le dernier des communistes authentiques, Yvan Rioufol. Plus quelques autres à la réputation mieux établie comme Laurent Joffrin, Nicolas Baverez, ou le keynésiano-marxiste Jacques Marseille.

Disons-le tout net, ce n’est drôle qu’aux dépens d’autrui, et on éprouve rapidement de la compassion pour les victimes de ce tir groupé. Cette façon de moquer les faits d’armes de BHL, dit « Bernard », son rapport complexe à la vérité, son héroïsme embedded (dans les chars israéliens ou algériens), ou cette propension à insister sur l’âge de l’excessif Duhamel (il est là depuis 1963. Et alors ?) et de balancer à la Commission de la carte la profusion de ses piges ; ou encore de pointer les rares erreurs commises par le prophétique Alexandre Adler, dans le périlleux et quotidien exercice de prévision qu’il affectionne (qui n’a jamais joué au tiercé n’a jamais perdu !), tout cela est facile. Comme il est facile de se gausser des changements de pied de Philippe Val, homme de convictions, cependant, et qui, de l’aveu de l’islamo-gauchiste Caroline Fourest, « tutoie Spinoza ». Un conseil donc : si vous êtes des admirateurs de ces grandes et nobles signatures, détournez-vous de ce livre. Si en revanche, comme Chollet, Cyran, Fontenelle et Reymond, vous êtes des aigris et des jaloux, alors vous rirez d’un rire facile et gras ; et, de surcroît, vous aurez l’illusion (trompeuse illusion !) d’avoir réfléchi, sous l’apparente légèreté des mots, à des sujets élevés tels que le pluralisme, les rapports de la presse avec le pouvoir, ou bien l’art d’être toujours du côté du manche. Bref, sur les servitudes de nos métiers de l’information et sur ceux que Balzac appelait déjà les « Rienologues ». Illusions, illusions car ce livre nous en dit surtout long sur ses auteurs…

Idées
Temps de lecture : 3 minutes