Quand le Sud tance le Nord

Lors des négociations, le bloc des pays en développement s’est montré plus solide et uni qu’auparavant. Front durable ou de circonstance ? Tout dépendra de l’attitude des grands pays émergents.

Patrick Piro  • 17 décembre 2009 abonné·es

«Je ne vais pas vous parler de climat, mais de foot ! » On craint un instant le ridicule, samedi dernier : Rahul Bose, fameux acteur de Bollywood, le ­temple du cinéma kitch indien, intervient après sa compatriote Vandana Shiva, pasionaria altermondialiste ovationnée sur le parvis du Parlement danois par des dizaines de milliers de manifestants prêts à défiler dans les rues de Copenhague. « C’est l’histoire d’une équipe opulente qui s’offre les meilleurs joueurs, et qui triche, en plus. » Et a l’audace d’affirmer : «  Nous n’arrêterons de tricher qu’à condition que vous renonciez à jouer au football ! »

La partie se joue entre le Nord et le Sud au Bella Center, et il s’agit de parvenir à un accord de réduction des gaz à effet de serre pour la période à venir – 2017, 2020, 2050, on l’ignorera probablement jusqu’à la conclusion du sommet, et encore. La triche et les audaces, Éco , le bulletin d’analyse du Réseau action climat mondial les a évaluées calculette en main. Ainsi, avant l’arrivée des chefs d’État, la somme des engagements du Nord pour 2020 culminait péniblement autour de 20 % de réduction par rapport à leur niveau de 1990, dans le meilleur des cas. En effet, en utilisant un arsenal d’échappatoires (méthode de calcul des émissions des forêts, passe-droit pour les industriels, « oubli » des transports aériens et maritimes, etc.), on tombe à 4 %, voire moins, conclut Éco. Rappel du consensus actuel, défini par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) : l’effort des pays du Nord devrait être compris entre 25 % et 40 %. Quant au Sud, qui ne porte qu’un quart de la responsabilité historique du dérèglement, c’est la croissance de ses émissions qui devrait ralentir – de 15 à 30 % d’ici à 2020. C’est le cas des engagements actuels, relève Éco, et certains pays vont même au-delà (Brésil, Indonésie, Afrique du Sud, Corée du Sud, etc.). « Le Nord se comporte en rentier, ce qui agace souverainement le Sud, qui a mis de vraies propositions sur la table » , traduit l’économiste Geneviève Azam, d’Attac-France.

Résultat, les 132 pays « en développement » du bloc dit « G77 + Chine » ont fortement durci leur position à Copenhague, au moins en théorie, conscients de disposer d’un vrai pouvoir de négociation : ils contribuent désormais à la moitié des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Premier point de leur position : il faut viser une augmentation maximale de 1,5 °C de la température moyenne du globe. C’est le plafond réclamé par le groupe Aosis (Alliance of Small Island States) des nations menacées de submersion par la hausse du niveau de mer, et moins que le seuil de 2 °C péniblement adopté par le Nord, limite avant l’inconnu climatique et déjà considéré comme un défi considérable. Ce qui signifie en filigrane que le Sud accepte de redoubler ses efforts pour y parvenir.
Ensuite, le Nord devra réduire fortement ses émissions par des engagements contraignants et principalement « à domicile », c’est-à-dire sans compter sur les marchés de droits à émettre du CO2. Les pays du Sud, en revanche, ne seraient pas soumis à un mécanisme contraignant. En clair, ces exigences signifient la reconduction du protocole de Kyoto. Dont les États-Unis ne ­veulent toujours pas, et que le reste du Nord semble prêt à lâcher pour que le plus gros pollueur de la planète revienne dans le concert des négociations climat.

Enfin, l’aide financière pour le Sud serait gérée par un fonds indépendant, alors que la Banque mondiale a la préférence des États-Unis. Sur ce point, le fossé est immense. Bravache, Lumumba Di-Aping, le négociateur du Soudan (qui préside actuellement le G77), interpellait Obama jeudi dernier : « Notre nobélisé veut la paix et de la sécurité pour le monde ? Puisqu’il réclame des milliards de dollars au Congrès des États-Unis pour la défense, qu’il en obtienne 200 pour sauver la planète ! » Jusqu’à présent, les sommes mises sur la table par le Nord sont dérisoires, de l’ordre de 50 fois moindres.

« Pour la première fois, les pays du Sud ne ­passent pas leur tour dans les négociations climat », reconnaît, admiratif, Serge Orru, directeur du WWF-France. Plusieurs tentatives ont été menées par les pays riches à Copenhague pour les diviser. Comme celle de notre ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, promettant une aide financière aux pays pauvres – c’est-à-dire pas aux grands pays émergents du G77. La Chine et l’Inde sont accusées d’être de mauvaise foi, notamment par les États-Unis, en raison de leur refus d’être traitées comme les pays industrialisés du Nord. « Mais je ne serais pas étonnée que ces pays finissent par accepter un compromis, pour des raisons économiques… » , affirme Nicola Bullard, de l’association Focus on The Global South, siégeant à Bangkok. Pronostic concordant de Pierre Radanne, conseiller des pays africains dans les négociations climatiques : « Obama et Hu Jintao ont décidé de faire match nul. » Ce qui signerait une remise en cause du­rable de l’hégémonie des pays riches dans la gouvernance mondiale. « Ce sommet pourrait être aussi important que Yalta » , estime Cyrielle Den Hartigh, aux Amis de la Terre. Mais, vu du « vrai » Sud – les pays ­pauvres –, pas sûr que ce soit une victoire.

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