Les gauches, les immigrés et les sans-papiers

L’opposition ne doit pas se contenter de s’indigner ou d’agir de façon ponctuelle
vis-à-vis de la politique d’immigration du gouvernement. Elle doit mettre cette lutte au premier plan.

Olivier Le Cour Grandmaison  • 15 avril 2010 abonné·es
Les gauches, les immigrés et les sans-papiers
© **Olivier Le Cour Grandmaison** est historien, enseignant à l’université d’Évry-Val-d’Essonne. Dernier ouvrage paru: **La République impériale. Politique et racisme d’État** , Fayard, 2009.

Mai 2007. Pour la première fois dans l’histoire de la République et de l’Union européenne, un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement est créé dans la douce France que préside désormais le démagogue autoritaire Nicolas Sarkozy. À cette nouvelle administration, au nom et aux tâches abracadabrantesques, s’ajoute, c’est également sans précédent, un véritable plan quinquennal d’expulsions, lequel fixe, année après année et selon une courbe croissante, le nombre d’étrangers en situation irrégulière qui doivent être reconduits de force dans leur pays d’origine ou supposé tel. 21 000 furent ainsi expulsés en 2007, un peu plus de 29 000 en 2008 et en 2009, conformément aux lettres de mission envoyées par le chef de l’État et son diaphane Premier ministre au titulaire de ce nouveau portefeuille ministériel : Hortefeux hier, Besson aujourd’hui. Et pourtant nul tollé de l’opposition n’est venu sanctionner ce qui relève de l’avènement d’une xénophobie d’État qui mobilise préfets, policiers, gendarmes et fonctionnaires de la PAF, tous soumis désormais à cette abjecte culture du résultat élaborée à l’Élysée.

Exploiter sans vergogne la peur du « clandestin », réputé être la cause de maux nombreux qu’il faut conjurer au plus vite pour sauver la France de graves périls annoncés, telle est l’une des mamelles idéologiques essentielles de ce qu’il est convenu d’appeler le « sarkozysme », sans oublier bien sûr la lutte contre l’insécurité. Rafles, rétentions, expulsions, tels sont donc les moyens presque quotidiennement employés pour appliquer coûte que coûte cette politique qui prospère sur un prurit législatif et réglementaire incessant, comme le prouvent les dernières trouvailles d’Éric Besson. Comme son maître et son prédécesseur, il se saisit du moindre événement – l’arrivée de Kurdes syriens sur une plage corse – pour tenter d’imposer dans l’urgence de nouvelles mesures destinées à restreindre plus encore les droits des étrangers. Le pseudo-débat sur l’identité nationale a été un retentissant fiasco hexagonal ; voilà qui permettra de le faire oublier au plus vite.

Face à cette situation inédite, qui fait paraître les charters de « clandestins » affrétés par l’ancien ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, comme des gesticulations presque dérisoires, que font les gauches parlementaire et radicale ? Elles condamnent et s’indignent si besoin est en publiant des communiqués de protestation aussi virulents que vains ; là s’arrêtent les consignes des dirigeants même si, au plan local, de nombreux élus et militants sont investis dans la défense des sans-papiers, notamment. Nul besoin d’être grand clerc pour saisir les ressorts de ces orientations : agir un peu, voire beaucoup, mais toujours de façon ponctuelle pour ne pas s’exposer à des critiques internes, celles des adhérents,
et externes, celles des autres partis dans un contexte fort concurrentiel en raison des élections à venir. Et, dans le même temps, ne rien faire pour transformer la lutte contre la politique d’immigration de ce gouvernement en un enjeu majeur situé au premier plan de l’agenda, comme disent les spécialistes. Signalons au passage que la revendication du droit de vote pour les immigrés est soumise à des considérations identiques depuis trente ans. Admirable pusillanimité longtemps justifiée par l’état supposé de l’opinion publique.

Il fut une époque où il ne fallait pas désespérer Billancourt, désormais il ne faut pas effrayer les Français. De là cette absence de riposte nationale et unitaire alors que l’offensive du pouvoir contre les étrangers s’aggrave de mois en mois. Le constat vaut également pour les directions des syndicats de salariés, d’étudiants et de lycéens qui, imperturbablement, persévèrent dans l’organisation de journées d’action sans lendemain et agissent le plus souvent en ordre dispersé, les unes pour demander la régularisation de travailleurs en situation irrégulière, les autres celle de jeunes « clandestins » inscrits dans des établissements scolaires et universitaires alors que tous sont victimes d’un même acharnement gouvernemental, et d’un même arbitraire.

Étrange, n’est-il pas ? Pourtant, du Parti socialiste au NPA, les mêmes se sont unis hier pour défendre le service public de La Poste, et des propositions voisines sont faites désormais pour s’opposer à la réforme des retraites souhaitée par l’Élysée. Relativement aux étrangers, la politique de ce gouvernement est inacceptable, dites-vous, conformez enfin vos actes à vos déclarations réitérées en organisant une grande manifestation nationale et unitaire au mois de mai 2010, à l’occasion du troisième anniversaire du sinistre ministère de l’Immigration.

Idées
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