« Le public est globalement plus curieux qu’hier »

Selon Catherine Bailhache*, l’action culturelle est fondamentale pour susciter et entretenir le désir des spectateurs.

Christophe Kantcheff  • 13 mai 2010 abonné·es

POLITIS : Une des solutions pour rapprocher les films des spectateurs n’est-elle pas de montrer les premiers là où les seconds se trouvent ?

Catherine Bailhache : Rapprocher les films des spectateurs, c’est ce qu’a toujours cherché à faire l’État jusqu’à présent, avec les collectivités publiques. Nous sommes l’un des pays les mieux pourvus de ce point de vue : en France, la probabilité est mince pour qu’une personne ait plus de 40 km à parcourir pour gagner le cinéma le plus proche et y trouver dans d’excellentes conditions de projection les films dont tout le monde parle. L’Agence de développement régional du cinéma (ADRC), mise en place par le CNC dans les années 1980 pour empêcher les salles du milieu rural de disparaître, leur a permis en outre de se moderniser et d’avoir accès rapidement, comme tout le monde, aux films populaires. L’ADRC a été, est et, selon moi, doit continuer d’être un élément indispensable pour réguler les dérives classiques du marché et rapprocher ainsi « les films des spectateurs ».

Cela nous amène au numérique : les salles en milieu rural et les salles art et essai dotées d’un, deux ou trois écrans, les plus fragiles économiquement, ne pourront s’équiper seules. Les moyens nécessaires doivent être trouvés, et très vite, sinon, comme dans les années 1975-1980, l’hémorragie des fermetures reprendra…

Parallèlement, les progrès technologiques des dernières années ont représenté une ouverture réelle pour les créateurs, avec des producteurs modestes, que les distributeurs ignorent. Or, les exploitants, eux-mêmes victimes des contraintes étouffantes qui leur sont faites par les tenants du marché, n’ont dans la plupart des cas ni le temps de voir les films non distribués ni la place pour les programmer…

Depuis quelques années, il existe en France des associations, des collectifs (voir encadré) qui se sont organisés pour repérer ces films un peu partout, notamment dans les quelques festivals qui, bien que sursollicités, comme tout le monde, s’attachent à en montrer. Et, à leur tour, ils en programment, si possible en salle, mais sinon ailleurs, dans des cafés, des granges, des salles des fêtes, des caravanes… Et le public pour ces films existe, même si personne ne l’évalue.

Que pourrait-on imaginer pour susciter l’envie des spectateurs envers des films qui ne bénéficient ni d’une diffusion ni de moyens promotionnels importants ?

Les moyens des artisans de l’action culturelle, seuls à pouvoir quelque chose, sont dérisoires : on les doublerait ou triplerait qu’ils n’arriveraient pas à la cheville de ceux consacrés aux grands films populaires. Pourtant, nombreux sont ceux qui prouvent que, partout, les gens aiment à se rassembler autour de toutes sortes de films.

Quoi inventer ? Par exemple, solliciter le public en tant que futur spectateur d’une œuvre en devenir, à l’état de synopsis, de scénario ou de rushes, voire l’impliquer dès cette étape, et on constate que, non seulement le public est là, mais qu’il est intelligent, pertinent… et constant : l’avantage d’une œuvre en construction, c’est qu’elle habite l’esprit de tous ceux qui accèdent à la perception de cette construction, jusqu’à ce que l’œuvre existe, quelle que soit la durée de l’attente !

Aujourd’hui, plus personne ne cherche à distinguer les spectateurs des consommateurs comme s’il s’agissait de séparer le bon grain de l’ivraie. Tout le monde a compris que nous sommes à la fois M. Jekyll, spectateur potentiel, et M. Hyde, simple consommateur. Beaucoup de programmateurs s’interrogent à juste titre sur le nouveau rôle qu’ils pourront, qu’ils devront tenir pour réveiller M. Jekyll, échanger avec lui. Les films dont nous parlons s’adressent à ce dernier, ca­pable de choisir et même d’interagir. C’est aux pouvoirs publics de reconnaître l’importance de ce nouveau type d’attitude. Aujourd’hui, en aucun cas le fait d’organiser dans sa salle la lecture d’un scénario en lieu et place d’une séance de film ne sera reconnu au niveau du classement art et essai, par exemple : « l’action culturelle », au sens où j’en parle, n’y a aucune place.

Le DVD ou Internet ont amélioré l’accès aux films. Qu’en pensez-vous ?

J’en pense tout simplement que tout ce qui peut permettre à quiconque d’accéder à une œuvre est à saluer. Que pratiquement tous les films récents connaissent une version DVD. Qu’il existe en France une poignée d’éditeurs de DVD absolument remarquables, que même ceux qui n’entretiennent que très peu de rapports avec le cinéma savent repérer seuls. Qu’aujourd’hui la pratique heureuse de la diversité passe aussi par la diversité des relations d’un même individu avec les multiples moyens dont il dispose pour voir un film. Je trouve que, globalement, les gens sont bien plus curieux qu’hier, et que la surabondance d’offre commence à déclencher chez eux le besoin de s’y retrouver dans la jungle des propositions, avec une conscience aiguë du pouvoir joué par l’argent et un goût en développement pour tout ce qui échappe à ce facteur. J’en pense que c’est à nous de jouer.

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