La seule couleur, c’est celle du maillot

Chaque semaine pendant la Coupe du monde, un regard
différent sur le foot. Aujourd’hui, Claude Boli, historien.

Ingrid Merckx  • 10 juin 2010 abonné·es

Numéro 1 : Kader Firoud, pays d’origine : Algérie. Numéro 2 : Steve Mandanda, pays d’origine : République démocratique du Congo… Des maillots bleus pendent sur des cintres. Numéro 3 : Raoul Diagne, pays d’origine : Sénégal… Numéro 4 : Patrice Évra, pays d’origine : Sénégal. La vitrine fait face à l’avenue de France, dans le XIIIe arrondissement de Paris. C’est dans ce nouveau quartier en bord de Seine que le musée national du Sport a élu domicile en 2008. Numéro 5 : Basile Boli, pays d’origine : Côte-d’Ivoire. Numéro 6 : Marcel Desailly, pays d’origine : Ghana… Ils sont 18 au total, Africains ou de parents africains, nés entre 1900 et 2000. Tous dans la même équipe, fictive : « C’est ma feuille de match, ma dream team » , sourit Claude Boli, historien et commissaire scientifique du musée national du Sport, où il présente l’exposition « Allez la France, les joueurs africains sont là ! » [[Allez la France ! Les footballeurs africains sont là !,
musée national du Sport, Paris XIIIe, jusqu’au 2 janvier 2011.]]. Un hommage aux joueurs africains ou d’origine africaine qui ont mouillé le maillot pour la France. Des histoires belles et moins belles, entre rêves de foot européens et cauchemars d’enfants de l’autre continent, qui disent aussi bien l’héritage des colonies que les réalités sociales de la France de 2010. Claude Boli tient à la mention « pays d’origine » car, sur sa feuille de match, au moins cinq joueurs sont nés en France : Zidane, Cissé, Benzema, Ben Barsa, Touré. D’autres sont arrivés enfants. « Quand on me demande d’où je viens et que je réponds que je suis bourguignon, on me repose la question, comme si la Bourgogne ne pouvait pas être mon origine parce que je suis noir », commente l’historien, pour qui il est temps de «  décoloniser les esprits ».

Petit frère des footballeurs Roger et Basile Boli, Claude est né en 1968 à Abidjan. Il est arrivé en France à 8 ans et y a vécu jusqu’à sa licence. Puis il est parti en Angleterre terminer ses études. Il y est resté quinze ans. Pendant le Mondial, il supportera d’abord l’équipe britannique. « Dans un café ou un pub,
parce qu’un match, ça ne se regarde
pas seul chez soi ! »

Sur une photo en noir et blanc, l’équipe de France en 1939. À côté, les Bleus en 2009. Entre les deux, on est passé « d’une influence déjà africaine » à « une présence africaine remarquable » . « C’est encore plus visible dans les équipes qui jouent le championnat de France, précise Claude Boli. Dire que l’équipe de France est “très black”, c’est taire les phénomènes migratoires et sociaux dont l’évolution du foot rend compte. » Cette exposition se tient en parallèle d’une autre, au champ plus large, à la Cité de l’histoire de l’immigration [^2]. Pas que pour les fans : « Le foot rassemble ! De Hanoï à Conakry, des gens peuvent vibrer devant le même match au même moment. C’est surtout un prisme pour comprendre les mutations d’une société. » Une invitation à voir derrière la compétition des parcours d’individus et l’histoire d’un siècle d’immigration.

Dans une des salles du musée du Sport, des casiers de vestiaire tiennent lieu d’espaces d’exposition. L’un est consacré aux « sorciers blancs », Philippe Troussier et Paul Le Guen, entraîneurs en Afrique, l’autre met en regard deux histoires : l’ascension de Salif Keita, star du foot africain, qui joua à l’AS Saint-Étienne et à l’Olympique de Marseille dans les années 1960, et star du film de Cheik Doukouré le Ballon d’or  ; et le destin interrompu de Marc-Vivien Foé, footballeur camerounais qui a joué en Angleterre et en France, où il est mort d’une crise cardiaque en 2003. Une fibule, des babouches, des boîtes de lait concentré… Claude Boli a demandé à des joueurs de lui confier des objets personnels qui leur rappellent leur pays d’origine. Dans un coin, les « Drogba », sandales en plastique qui, sur les marchés d’Abidjan, portent le nom du footballeur. Suit un casier fermé pour dire l’impasse où sont les jeunes joueurs africains dont les contrats en France ne sont pas renouvelés. Et qui se retrouvent sans avenir et sans papiers.

Sur un grand mur, des « joueurs de légende » s’affichent comme sur une page d’album Panini : Roger Milla, Mustapha Dahleb, Rachid Mekloufi, Mamadou Niang ou George Weah. Rien, dans l’exposition, sur le match France-Algérie de 2001. Mais un texte revient sur l’événement dans l’épais catalogue Football et Immigration concocté par Claude Boli, Yvan Gastaut et Fabrice Grognet : «  Le public qui siffle “la Marseillaise” exprime son tourment identitaire : Français, certes, mais d’origine maghrébine. […] Qui supporter ? Sa patrie ou celle de ses ancêtres ? […] Lorsqu’un choix s’impose le temps d’un match, les origines sont de retour. » « Zidane est né à Marseille, pourquoi les joueurs restent-ils figés dans leur statut d’immigrés ? » , peste Claude Boli, qui voudrait tordre le coup au « démon des origines » pour pouvoir réfléchir à la question des représentations. D’autant qu’en foot, la couleur qui compte, c’est celle du maillot.

[^2]: Football et immigration, histoires croisées, Cité nationale de l’histoire de l’immigration, Paris, XIIe, jusqu’au 17 octobre.

Publié dans le dossier
La Footafrique
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