Courrier des lecteurs 1112-1114

Politis  • 22 juillet 2010 abonné·es

En écoutant le Président lundi 12 juillet, m’est revenue la morale des « Animaux malades de la peste » : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Taine la commentait ainsi : « Le roi y fait un beau discours sur le bien public et ne songe qu’au sien. »  L’affaire Woerth-Bettencourt et les mesures d’austérité n’en sont-elles pas une nouvelle illustration ?

Alain Brunel, Bégard


En matière de commission d’enquête, une tendance nouvelle semble devenir la norme : l’enquête « indépendante » qu’on se mitonne soi-même, sans vergogne !
Prenez, en Israël, l’enquête sur la flottille de Gaza : Israël a catégoriquement rejeté le principe d’une mission d’enquête internationale et s’est fabriqué en interne sa propre « commission d’enquête indépendante » . Certes, on a ajouté deux malheureux observateurs étrangers, mais sans droit de vote sur les travaux et sur les conclusions de la commission ! Et, en France, qui a été chargé de rédiger un rapport sur le volet fiscal de l’affaire Bettencourt et sur d’éventuelles interventions d’Éric Woerth ? Surtout, ne riez pas : c’est l’Inspection générale des finances, directement placée sous la tutelle du… ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi et du ministre du Budget !
Quant au procureur Philippe Courroye, il continue de piloter les enquêtes de l’affaire Woerth-Bettencourt alors qu’il est en position de subordination par rapport au pouvoir et qu’il est personnellement évoqué dans cette affaire.
Dorénavant, on attend avec impatience que Richard Virenque et Lance Armstrong soient chargés d’une commission d’enquête sur le dopage ou que le Comité régional porcin des éleveurs bretons se voit confier une enquête sur la pollution par les algues vertes en Bretagne.

Jean-Jacques Corrio,
Les Pennes-Mirabeau (13)


Heureux époux d’une ressortissante française d’origine gabonaise, […] je profite de cette période de commémoration des 50 ans de pseudo-indépendance des anciennes colonies africaines de la France […] pour accuser notre classe politique en général et les responsables gouvernementaux qui se sont succédé depuis des décennies d’avoir souillé l’honneur et les valeurs de notre République.
La politique extérieure d’un pays est un révélateur de sa santé démocratique. […] Or la politique africaine de la France depuis la décolonisation est toujours restée opaque. […]

L’exemple gabonais est édifiant. De Gaulle, après Léon Mba, imposa Albert Bernard Bongo à la tête du Gabon. Pendant que le clan Bongo confondait allègrement les caisses de l’État gabonais avec sa cassette personnelle – ce qui lui a permis d’amasser une fortune représentant cinq fois la dette de son pays –, les sociétés françaises Bouygues, Bolloré, Elf, Cogema devenue Areva, etc. pouvaient exploiter les ressources du pays.
Ce système mafieux a fonctionné grâce à des réseaux affairistes et barbouzards occultes et avec la bénédiction de toute la classe politique française qui bénéficiait des largesses du bon papa Bongo. Soucieux de se prémunir contre toute mauvaise surprise il a en effet arrosé tous les partis institutionnels sans exception, du FN au PCF. C’est sans doute ce qui explique la mollesse des réactions de ces mêmes partis après le coup d’État électoral qui s’est produit il y a presque un an au Gabon. […]

Le bilan de cette politique est accablant. D’abord pour le peuple gabonais, dont la grande majorité est réduite à essayer de survivre dans la misère sur les richesses de sa terre.

Ce pays grand comme la moitié de la France et dont le PIB égale celui du Portugal ne possède aucune infrastructure digne de ce nom : à peine 800 km de routes goudronnées, une seule ligne de chemin de fer, pas de ponts pour franchir les cours d’eau, un réseau d’eau courante et d’électricité indigent, des logements indignes, et un système de santé désastreux. Quant à la démocratie, n’en parlons pas : alors que la majorité des Gabonais croyaient pouvoir en finir avec quarante et un ans de « bongoïsme », on a prétendu une fois de plus lui imposer le choix de la Françafrique, en la personne d’Alain-Ali Bongo. Ces élections ont été organisées de façon précipitée, sur la base d’une liste électorale manifestement gonflée. Des divergences flagrantes entre les procès-verbaux remis aux représentants des candidats après le dépouillement dans les divers bureaux de vote et ceux qui ont été finalement validés, ainsi que les tergiversations qui ont précédé la proclamation des résultats, laissent entrevoir une fraude massive. Or ces faux résultats ont été entérinés par la France, dont le président Nicolas-le-petit a adressé ses félicitations à l’héritier du clan Bongo sans même attendre le résultat des recours engagés par l’opposition.

On peut s’interroger également sur notre santé démocratique quand nos dirigeants se permettent sans vergogne de bafouer les principes républicains dans l’indifférence générale. Comment peut-on encore croire que la France est le « pays des Droits de l’homme » après avoir entendu, en septembre 2009, le triste sire Bourgi, conseiller occulte de l’Élysée, avouer ingénument sur l’antenne de RTL qu’en dépit de sa position officielle de non-ingérence la France était bien partie prenante dans l’élection gabonaise ? Où sont les protestations indignées que de tels propos auraient dû soulever ? Les médias bien-pensants avaient mieux à faire en amusant la populace avec le climat délétère qui régnait déjà au sein de l’équipe de France de football !

Les timides communiqués du PS et du PC condamnant du bout des lèvres le coup de force françafricain ne doivent pas faire oublier qu’ils sont eux-mêmes partie prenante du système. […]
Bien évidemment, personne n’a non plus admis que la relative prospérité de notre économie est basée pour une part sur la spoliation des peuples d’Afrique francophone. Notre passivité fait de nous les complices de cette bande de malfaiteurs qui gouverne en notre nom. […]
Nous devrions prendre conscience que l’État n’est rien d’autre qu’un outil au service de la nation, et que la nation, c’est nous : c’est donc à nous de lui imposer notre volonté et non l’inverse. […]
À nous, citoyens, de prendre nos responsabilités pour refonder notre République. […]

Didier Jégou

Courrier des lecteurs
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