Candidature écolo : l’éthique ou l’ouverture ?

Entre la juge inflexible et l’animateur populaire, qui portera les couleurs vertes en 2012 ? Eva Joly bénéficie d’une image d’indépendance vis-à-vis de tous les pouvoirs. Mais Nicolas Hulot, mieux préparé, a pour l’instant la sympathie des électeurs.

Ivan du Roy  • 21 avril 2011 abonné·es
Candidature écolo : l’éthique ou l’ouverture ?
© Photo : AFP / Pachoud / Guillot

À ma droite, Nicolas Hulot, 55 ans, animateur cathodique, ex-président de la fondation qui portait son nom. À ma gauche, Eva Joly, 67 ans, franco-norvégienne, ancienne juge d’instruction du pôle financier, députée européenne. L’animateur et la juge vont s’affronter pour l’investiture écologiste.

  • Popularité : avantage Hulot

C’est le principal atout de Nicolas Hulot face à Eva Joly. Après vingt-trois ans d’émissions « Ushuaïa » sur TF 1, la notoriété du candidat traverse tous les milieux, toutes les générations et toutes les classes sociales. Sa déclaration de Sevran a fait mouche. Et son côté candide séduit. Son entrée dans l’arène politique est présentée comme le prolongement nécessaire d’un engagement consensuel qui a échoué à faire bouger les choses. Le durcissement de son discours, contre les « diktats d’un mode de production et de consommation contaminé par l’illusion de la croissance » , « la frénésie du toujours plus » ou « la compétition agressive » , ne répond pas à des a priori idéologiques mais est le fruit de son expérience. Et cette démarche ­semble plaire. Mais elle intervient après deux décennies de compromis – certains diront compromissions – avec ceux-là mêmes qui ont participé à la « fuite en avant productiviste » et aux « délires ultralibéraux » que le candidat dénonce aujourd’hui. C’est le revers de la médaille Hulot : son angélisme récent vis-à-vis des multinationales et du pouvoir politique risque de se muer en boulet que le candidat traînera tout au long de la campagne. Pour le moment, les enquêtes d’opinion jouent très largement en sa faveur. Dans le baromètre « Vivavoice-Libération », qui mesure les « souhaits » des sondés sur le futur locataire de l’Élysée, avec 19 %, Nicolas Hulot devance François Bayrou et talonne l’ancien ­mi­nistre de l’Écologie Jean-Louis Borloo. Reste à traduire ces « souhaits » en intentions de vote…

Quant à Eva Joly, avec 10 %, elle pointe en bas de tableau, au même niveau que Jean-Luc Mélenchon ou Arnaud Montebourg. Vu du petit écran, sa robe de magistrate, qu’elle a bien du mal à quitter, sa froide rigueur scandinave, qui l’oblige à mille nuances avant de s’avancer sur un sujet peu familier, plaident contre la députée européenne. Malgré les virulentes critiques de la mouvance écologiste radicale, la popularité de son adversaire ne faiblit pas chez les sympathisants d’Europe Écologie-Les Verts. Selon un sondage Ifop réalisé fin mars, il serait leur candidat préféré : 66 %, contre 32 % en faveur d’Eva Joly. Un atout tactique dont l’entourage d’Hulot veut profiter pleinement en menant la bataille pour ouvrir les primaires écologistes à l’ensemble des sympathisants et l’emporter grâce à la « démocratie du clic ». Car, auprès des 10 000 adhérents stricto sensu, le rapport de force s’inverse, pour l’instant, en faveur d’Eva Joly.

  • Positionnement : avantage Joly

Depuis l’affaire Elf, la juge incarne le combat contre la corruption et les délits financiers des milieux d’affaires. Son éthique et son indépendance vis-à-vis de l’oligarchie politique et des grands groupes privés ne sont plus à prouver. C’est tout l’inverse pour son concurrent. Face à la crise environnementale, son envie de « passer du pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté » est telle que, pour l’ex-animateur, toutes les énergies sont bonnes à prendre, qu’elles proviennent de simples citoyens ou d’entreprises du CAC 40. L’Oréal, TF 1 et surtout EDF, deuxième plus gros émetteur de CO2 derrière Arcelor-Mittal, siègent au conseil d’administration de sa fondation.

Une proximité qui fait de Nicolas Hulot l’une des cibles privilégiées, avec Yann Arthus-Bertrand, des écologistes radicaux. Le mensuel la Décroissance ne s’est jamais lassé de dénoncer cet « éco-tartuffe » . Son pacte écologique, auquel le candidat Sarkozy a apposé sa signature en 2007, est aujourd’hui allègrement foulé aux pieds par le gouvernement, comme le Grenelle de l’environnement. « Il faut remettre l’économie au service de l’homme et arrêter le culte du quantitatif », lançait Hulot en juin 2009 lors d’une grand-messe de sa fondation. Au même moment, s’affichaient sur grand écran les logos des Autoroutes du Sud de la France (Vinci), d’EDF, de Bouygues Télécom, de TF 1, de L’Oréal, ou de Norauto. Une collusion qu’il lui sera difficile de faire oublier.

Eva Joly a d’ailleurs décidé d’ouvrir les hostilités sur ce front. « Il y a les intérêts des multinationales qui ne sont pas l’intérêt des citoyens, je pense que je représente très clairement ceux-là.  […] Je sais que l’écologie n’est pas consensuelle, qu’EDF et Areva ne sont pas des entreprises écologiques et qu’elles ont des intérêts particuliers qui ne sont pas l’intérêt général » , a-t-elle attaqué. Quand elle se déplace, ce n’est pas pour vanter en montgolfière la beauté d’un lointain paysage, mais pour tenter de convaincre le président malien de ne pas ouvrir une future mine d’uranium. En face, Hulot, à force de promettre des « clarifications » – sur le nucléaire, dont sa fondation ne dit mot, sur le partage des richesses, les politiques sociales… –, devra bien se résoudre à lever les zones d’ombre. Et en premier lieu dresser son bilan de la présidence Sarkozy, ce qu’il se refuse encore à faire : « Je ne suis pas quelqu’un qui juge. Il y a des gens suffisamment compétents qui feront le bilan du quinquennat du Président actuel » , a-t-il déclaré au mensuel Terra Eco. Étrange pour un candidat qui prétend « changer de cap » .

  • Organisation : avantage Hulot

Nicolas Hulot peut s’appuyer sur les travaux du solide Comité de veille écologique de sa fondation. Parmi ces experts, le philosophe Dominique Bourg a œuvré pour que la Charte de l’environnement, où figure le principe de précaution, ait valeur constitutionnelle, ce qui fut fait sous la présidence Chirac en 2005. L’agronome Marc Dufumier est devenu une référence sur les questions agricoles et les mécanismes de la crise alimentaire. Patrick Viveret, magistrat honoraire à la Cour des comptes, est l’un des penseurs de l’économie sociale et solidaire. S’il est plutôt favorable au nucléaire, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici est imbattable sur l’empreinte carbone. Côté politique, Nicolas Hulot peut compter sur son aile gauche : le député européen Jean-Paul Besset, journaliste venu de l’extrême gauche, ou le député Yves Cochet, pourfendeur des hydrocarbures et proche des idées de décroissance. Au sein d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), c’est son aile droite qui risque d’être malmenée, notamment Annabelle Jaeger, ancienne responsable développement de la fondation Nicolas-Hulot, élue écolo en Paca et… transfuge du RPR, dont elle fut candidate aux européennes de 1999, aux côtés de Nicolas Sarkozy ou Brice Hortefeux.

Encore faut-il que le camp d’en face s’organise. « Eva Joly était un peu isolée il y a quelques semaines. On l’a laissée partir seule au front » , commente un observateur. Une équipe de « consultants » vient d’être activée en urgence, avec des anciens de la campagne présidentielle de Noël Mamère et une jeune garde venue de collectifs tels Génération précaire ou Jeudi noir. Objectif : préparer l’inflexible magistrate à affronter les médias, lui faire rencontrer experts et mouvements associatifs, et lui concocter un calendrier de sorties thématiques. Une machine qui se met laborieusement en route quand, côté Hulot, on déroule un plan médias bien préparé.


  • Expérience : avantage Joly

La première bataille électorale de la juge anticorruption s’est soldée par une victoire : aux élections européennes de 2009, les listes Europe Écologie font jeu égal avec celles du PS. En Île-de-France, malgré une forte abstention, le tandem Cohn-Bendit-Joly écrase la liste d’Harlem Désir. Pour cette nouvelle bataille interne, la candidate à l’investiture bénéficie pour l’instant de l’appui d’une grande partie de l’appareil. Un « conseil politique » réunit autour d’elle le député de Gironde Noël Mamère, les sénatrices Marie-Christine Blandin et Dominique Voynet, les députés européens Yannick Jadot (ancien de Greenpeace) ou Karima Delli. Douze ans au Pôle financier puis deux années au Parlement européen ont forgé son expérience du rapport de force. Un avantage face à Hulot, dont la stratégie jusque-là consensuelle tranche avec la nouvelle radicalité du discours. Et fait douter de sa capacité à engager l’épreuve de force face à ceux qui, selon ses propres termes, privilégient « inégalités et exacerbation des peurs » et sacrifient « les priorités écologiques et sociales » .

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Des vérités cachées
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