Étrangers mais pas moins citoyens

Un collectif d’associations lance une campagne nationale pour promouvoir le droit de vote et d’éligibilité des étrangers en situation régulière sur le territoire français. Une revendication vieille de trente ans.

Lucie Girardot  • 28 avril 2011 abonné·es
Étrangers mais pas moins citoyens
© Photo : AFP / LABAN-MATTEI

«Il est injuste que des gens vivant dans une commune depuis parfois trente ou quarante ans, qui travaillent, paient des impôts et participent à la vie culturelle, sociale et économique de la ville ne puissent pas participer à sa vie politique sous prétexte qu’ils ne sont pas français. » Comme des milliers de résidents étrangers en situation régulière, Mohamed Bhar, père de famille tunisien, s’acquitte depuis vingt ans des mêmes devoirs que les autres citoyens français, mais ne bénéficie pas en retour du droit de vote et d’éligibilité aux élections locales. Du 16 au 22 mai, il se rendra à une grande votation citoyenne à Paris, pour obtenir la reconnaissance de son droit à participer localement aux prises de décisions qui influent sur sa vie quotidienne.

Cette initiative entre dans le cadre de la campagne nationale « Oui au droit de vote des résidents étrangers ! » lancée depuis fin 2010 par le collectif national Votation citoyenne, qui réunit une soixante d’associations et de syndicats. À travers l’Hexagone, des votations citoyennes, à valeur symbolique, ont déjà été organisées dans 70 communes, dont les habitants – français ou non – ont été invités à se prononcer par « oui » ou par « non » sur la question. Entièrement encadrées par des militants, de nouvelles votations auront lieu en mai et en juin, le plus souvent dans des lieux publics (marchés, centres associatifs, parvis de gares), et parfois jusque dans les bureaux de vote de certaines mairies. Plusieurs municipalités se sont en effet associées à cette action, à l’instar de la Ville de Paris, qui fournira des urnes, des panneaux d’affichage, des tentes et du matériel électoral pour la votation prévue dans la capitale à la mi-mai.

La reconnaissance du droit de vote des étrangers aux élections locales est une revendication défendue depuis plus de trente ans par divers secteurs de la société civile. Depuis la ratification du traité de Maastricht en 1992, l’exercice du devoir citoyen a déjà été étendu aux ressortissants de l’Union européenne vivant sur le territoire français, qui peuvent voter aux élections municipales et européennes. Mais les résidents étrangers extracommunautaires ne sont toujours pas concernés. Au sein de l’Union européenne, la France accuse un sérieux retard en la matière. Elle fait partie des 11 pays de l’Union sur 27 qui n’ont pas pris de mesures concernant l’élargissement du droit de vote à tous les résidents étrangers, malgré les recommandations émises à de nombreuses reprises par les différents organes de l’UE. Au Royaume-Uni, par exemple, les ressortissants du Commonwealth qui n’ont pas la nationalité britannique et ne sont donc pas citoyens de l’Union peuvent voter et être élus au Parlement européen. En France, l’opinion semble plutôt ouverte sur la question : selon un sondage réalisé en 2005 par la Commission nationale consultative des droits de l’homme, 56 % des Français se sont déclarés favorables à un élargissement du droit de vote des étrangers aux élections locales. Pourtant, rien ne bouge sur le front législatif.

« Étrangers comme nationaux sont impliqués dans la vie de nos cités et le “vivre ensemble” , souligne un appel solennel lancé en octobre 2010 par 36 maires de France pour promouvoir l’extension du droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers. Ils contribuent déjà à la vie citoyenne en étant responsables d’associations, délégués syndicaux, représentants de parents d’élèves, électeurs pour la désignation des conseils de prud’hommes. » Et bénéficient des mêmes libertés fondamentales et des mêmes droits sociaux que les Français, tout en contribuant à la richesse nationale par l’impôt. Or c’est au niveau local, dans la commune ou le département, que se prennent beaucoup de décisions concernant la vie quotidienne de la population. Le logement, l’école, les équipements collectifs : autant de problèmes concrets, partagés par tous les habitants, quelle que soit leur nationalité. « Beaucoup de nos communes ont déjà œuvré pour faire avancer ce droit : commission extramunicipale, conseil des résidents étrangers, etc. Il est temps de franchir une étape supplémentaire ! » , conclut le texte.

Mais alors, si les étrangers présents sur le territoire français souhaitent jouir des pleins droits, pourquoi ne demandent-ils pas tout simplement à obtenir la naturalisation française ? D’une part, parce que « les conditions d’accès à la nationalité française sont de plus en plus restrictives » , souligne Vincent Rebérioux, de la Ligue des droits de l’homme. « Il faut être présent de façon régulière sur le territoire français depuis très longtemps, précise-t-il, et la République n’a pas à justifier les raisons pour lesquelles elle refuse de vous attribuer la naturalité française. » D’autre part, le lien indissociable entre citoyenneté et nationalité, établi dans l’Hexagone depuis la Révolution française, a déjà été remis en cause par Maastricht en 1992. En créant au sein de l’Union le concept de « citoyenneté européenne de résidence » , ce traité a fait évoluer la conception d’une citoyenneté fondée sur la nationalité vers une citoyenneté basée sur la résidence.

« En France, certains étrangers votent déjà aux élections municipales, les résidents de l’Union. C’est un progrès en même temps qu’un problème puisque cela a introduit l’idée qu’il y avait deux sortes d’étrangers présents sur le territoire français, explique Vincent Rebérioux. Des étrangers pratiquement dotés des pleins droits, et d’autres avec des droits moindres, les étrangers extracommunautaires. C’est l’une des raisons qui nous animent pour demander l’extension du droit de vote aux élections locales à l’ensemble des étrangers résidant en France de façon régulière. Le concept de citoyenneté de résidence est très important pour nous. » Dans la perspective de la présidentielle de 2012, le collectif Votation citoyenne compte sur cette action pour donner une visibilité au thème du droit de vote des étrangers aux élections locales. Et espère que les futurs candidats en feront un argument de campagne.

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