À contre-courant / Pas de sortie nationale de la crise

Jean-Marie Harribey  • 21 juillet 2011 abonné·es

À l’automne dernier, M. Sarkozy et le Medef testèrent la capacité de résistance des travailleurs français au démantèlement de leur droit à la retraite. Malgré l’importante mobilisation, les grandes forces syndicales et politiques refusèrent d’affronter un pouvoir déterminé à les faire plier, ce qu’il réussit. Ce fut la panne stratégique qui dure encore pour mettre à bas une contre-réforme de société emblématique du capitalisme néolibéral.
Dans la foulée du « printemps arabe » né au nom de la démocratie, des populations résistent à la purge qui leur est infligée. Les Espagnols se sont « indignés », tandis que le gouvernement socialiste, qui gère la crise comme l’exigent les marchés financiers, s’apprête à laisser la place à la droite, qui n’aura plus qu’à finir le sale boulot. Et la population grecque s’oppose tant qu’elle peut à la « troïka » (FMI, BCE, UE), au gouvernement et au Parlement, qui imposent l’austérité pour tous, sauf pour les riches et les banques, et la privatisation de tout : eau, électricité, poste, chemins de fer, ports, aéroports… La répression s’accentue au rythme où monte la contestation car la bourgeoisie européenne joue son va-tout : pas question de céder aux aspirations sociales, sous peine de généraliser des mouvements qui la mettraient directement en cause.

C’est dans ce contexte que se développe en France une discussion sur la sortie de crise qui a pour nom : « sortie de l’euro » ?, « protectionnisme » ?, « démondialisation » ? Discussion complexe car les repères habituels sont quelque peu brouillés, des enjeux politiques et socio-économiques s’entremêlant. La crise mondiale est celle du capitalisme et de son modèle de développement. À l’heure de la globalisation financière et du réchauffement climatique, ce n’est pas une crise de pays. Il n’y a pas de crise grecque à proprement parler. Les dettes publiques ont explosé sous l’effet de la défiscalisation des riches et des grandes entreprises, de l’endossement des dettes privées par les États et de la récession que la crise financière a entraînée, renforcée par les plans d’austérité.
Qu’un pays, par exemple la Grèce, décide de sortir de l’euro et de dévaluer sa monnaie nationale retrouvée ne résoudra rien : sa dette libellée en euros s’alourdira et la baisse du taux de change ne comblera pas son handicap de productivité. Si d’autres pays l’imitent ou dressent des droits de douane, la guerre commerciale sera encore plus féroce. Et le Royaume-Uni et les Pays d’Europe centrale et orientale, qui ne font pas partie de la zone euro, montrent qu’ils ne sont pas pour autant à l’abri de politiques néolibérales draconiennes.

Les marges de manœuvre ne sont donc pas à retrouver vis-à-vis d’autres pays, mais vis-à-vis de marchés financiers déments et d’une bourgeoisie avide. Les dettes publiques sont pour la plupart illégitimes parce qu’elles résultent d’une ponction inique sur la richesse produite par les travailleurs : dans les entreprises, sous forme de profits croissants au détriment de l’emploi, des salaires et de la protection sociale ; dans les budgets publics, sous forme de moins d’impôt, qui se transforme en épargne par l’achetant de bons du Trésor qui couvrent les déficits, merveilleuse aubaine pour les banques et leurs actionnaires, que les plans d’austérité protègent.
Le moment est donc venu de refuser d’honorer les dettes publiques actuelles, largement illégitimes. L’alternative est de commencer par tuer la rente plutôt que de construire une forteresse nationale isolée. Ce n’est pas nier l’État-nation, c’est viser la bonne cible et non d’autres pays. Ce n’est pas non plus nier l’action au sein de chaque nation, c’est enlever à cette action tout caractère nationaliste, en recherchant la coopération avec d’autres pays pour aller dans le même sens, et cela d’autant plus que plusieurs peuples résistent. La contradiction à dépasser est que si la démocratie s’exprime encore surtout à l’échelon national, les régulations et transformations à opérer, notamment écologiques, se situent au-delà des nations, d’où l’importance de la création progressive d’un espace démocratique européen. La crise n’étant pas une addition de crises nationales, il n’y aura pas de sortie nationale de la crise.

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