La faillite des socialistes

Plans d’austérité, 5 millions de chômeurs et une victoire
de la droite inéluctable le 20 novembre. Sur fond de mouvement des Indignés.

Jean Sébastien Mora  • 17 novembre 2011 abonné·es

Àdeux pas de la place Puerta del Sol, emblématique de la naissance du mouvement des Indignés espagnols, une centaine de militants occupent depuis maintenant un mois l’hôtel Madrid, afin d’héberger dans l’urgence les victimes d’expulsions immobilières. Parallèlement, tous les vendredis, des universitaires y tiennent un espace de réflexion théorique ouvert à tous, notamment sur l’effondrement du système scolaire, puisqu’en amputant depuis mars 2010 le budget de l’Éducation nationale de 1,8 milliard d’euros le gouvernement de José Luis Zapatero a épousé l’orthodoxie néolibérale et aggravé le « sous-développement » éducatif du royaume ibérique.

Désormais, les indices d’évaluation de l’enseignement secondaire européen placent l’Espagne au trentième rang, juste devant la Turquie. La crise fait également rage dans le monde universitaire, où toute une génération de doctorants est en passe d’être sacrifiée en raison du non-­renouvellement des départs à la retraite. « Dans un pays où l’université était déjà en retard de plusieurs révolutions épistémologiques, les perspectives de publications et de recherche se trouvent définitivement à l’étranger » , confie Eva Botella-Ordinas, chercheuse en histoire moderne à l’Université autonome de Madrid.

Contrairement aux affirmations des néolibéraux et de la Banque centrale européenne (BCE), l’allégement du « poids des dépenses publiques » a conduit à un ralentissement économique catastrophique, et donc à une plus grande difficulté à rembourser la dette, ce qui a entraîné une nouvelle phase d’austérité… Le chômage s’élevait à la fin du troisième ­trimestre à 21,52 % de la population active, soit le plus élevé de l’UE et des pays de l’OCDE. Chaque jour, plus de 200 familles sont expulsées de leur logement pour non-paiement de leurs mensualités bancaires. Mais à peine rassurés sur le cas italien, les marchés ont reporté lundi leur attention sur l’Espagne, faisant grimper ses taux obligataires.

Dès son investiture en 2004, le gouvernement de José Luis Zapatero a rompu avec le conservatisme du Parti populaire en retirant les troupes espagnoles d’Irak et en légalisant le mariage homosexuel. Mais le PSOE risque de payer ses mauvais résultats en termes d’emploi lors des élections législatives anticipées du 20 novembre.

À quelques jours du scrutin, Mariano Rajoy, le président du Parti populaire, devance de très loin dans les sondages le candidat du PSOE, Alfredo Perez Rubalcaba (jusqu’à 17 points d’écart). S’il se définit à la gauche de sa formation politique, Rubalcaba a ­définitivement perdu toute crédibilité cet été lorsque, dans l’urgence, le gouvernement Zapatero a inscrit la ­rigueur comme « règle d’or » dans la Constitution.

Dans un pays sans aucune loi relative au temps de parole (type CSA), la campagne électorale se réduit dans les médias au seul duel PSOE-PP, d’autant qu’ETA a déposé les armes le 20 octobre 2011. Mariano Rajoy entretient volontairement le flou sur son programme, se contentant de critiquer le bilan économique catastrophique des socialistes. Le candidat du Parti populaire a d’ailleurs pris l’habitude de ne pas répondre aux questions dans les conférences de presse !

Depuis mai 2011, la contestation des Indignés de la Puerta del Sol constitue un mouvement sans précédent par son ampleur et sa manière d’appréhender la politique. Véritable reconquête de la démocratie, « le mouvement traverse une crise de maturité, où sont mises en branle les nouvelles formes de travail collectif » , analyse le sociologue Mario Dominguez. Après le succès de la manifestation du 15 octobre, les Indignés continuent à considérer la conquête du pouvoir comme une question secondaire et n’ont pas formulé de consignes de vote. Parti politique d’extrême gauche, Izquierda Unida constitue la troisième force du pays avec 6 % des intentions de vote, mais ne profite que légèrement de l’effet Indignados.

En Espagne, le code électoral, fondé sur un système mixte, dessert les formations minoritaires. Pour le scrutin du 20 novembre, on estime ainsi à 2,5 millions les votes qui ne seront pas représentés par les 350 députés du Parlement. La réforme du code électoral du 29 janvier 2011, promue conjointement par le PP et le PSOE, a même aggravé la sous-représentation des petits partis. Equo, qui regroupe plus de 30 organisations écologistes sous la houlette de Juantxo Uralde, une figure de Greenpeace Espagne, sera absent des provinces où il n’est pas parvenu à obtenir suffisamment de signatures. Très marginal historiquement, le vote vert a très peu de chances d’entrer à l’Assemblée.

Parmi les nouvelles formations politiques, Republicanos entend rompre avec le « franquisme sociologique »« La Constitution de 1978 garantit encore les intérêts de groupes oligarchiques issus de la dictature » , explique Maite Martin, avocate et tête de liste dans la communauté autonome de Madrid. Grande corruption, dérives policières et non-respect de l’indépendance de la justice : la persistance du franquisme dans les institutions espagnoles, loin d’être anecdotique, est rappelée chaque année lors des rapports accablants d’Amnesty International.

Les mesures d’austérité et le retour du Parti populaire au pouvoir s’enracinent dans un terreau de « révolution conservatrice ». Exemple : dans la communauté autonome de Madrid, dirigée par Esperanza Aguirre, une figure du PP, la ­rigueur budgétaire s’accompagne d’une promotion déguisée de l’enseignement privé catholique.

Avec un taux de fonctionnaires parmi les plus faibles de l’UE (environ 6 %), l’Espagne incarne dangereusement ce que Pierre Bourdieu nommait « l’involution de l’État » , c’est-à-dire la régression vers un État uniquement pénal, qui a sacrifié peu à peu son rôle en matière d’éducation et de santé. « La politique, en tant qu’exercice de souveraineté populaire, disparaît au profit des intérêts du marché , s’inquiète l’universitaire helléniste Pablo Olaia. La crise grecque n’est que la préfiguration de la situation à venir dans la péninsule Ibérique.   » D’ailleurs, les sociétés de courtage, comme IG Market, reconnaissent que ces élections ont été anticipées en grande partie à leur demande.

Composée de tous les partis de la gauche basque, la nouvelle coalition Amaiur bénéficie de la normalisation politique liée au dépôt des armes de l’ETA, et compte bien rééditer le bon score de 25 % obtenu par Bildu lors des dernières élections locales de mai. En ballottage dans les sondages avec le PSOE et le PNV (parti nationaliste basque), Amaiur pourrait faire son entrée au Parlement avec trois ou quatre députés.

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