Toujours en selle

Le Festival western de Saint-Tite, au Québec, rassemble chaque année plus de 650 000 personnes. Une fête populaire où vient communier la culture Far West.

Jean-Claude Renard  • 22 décembre 2011 abonné·es

Àdeux heures de Montréal, au pied du parc national de la Mauricie. Le village de Saint-Tite est une ancienne capitale de bûcherons et de draveurs[^2], étirant ses baraques colorées aux allures de saloons autour de son église, sur quelques centaines de mètres. Des rues en ligne droite, où les perpendiculaires chahutent les parallèles. La rue du Moulin coupe celle de Notre-Dame, Laviolette relie les rues du Couvent et Saint-Paul. Au bout du chemin Haut-du-Lac, un panneau indique Route 159, Saint-Roch-de-Mékinac, lac Saint-Jean. Des magasins, un dépanneur, une tabagie, plus loin un garage, une mercerie, des bistrots en terrasse. Si plus grand monde ici n’est bûcheron, le village compte encore 3 800 habitants.

Entre la deuxième et la troisième semaine de septembre, ce petit bourg accueille plus de 650 000 personnes à l’occasion du Festival western de Saint-Tite (un chiffre édifiant, à ramener à la population du Québec, comptant seulement 8 millions d’habitants). Un festival où vient communier tout ce qui reste de cow-boys dans le continent nord-américain.

Le temps d’une décade, le village s’habille aux couleurs du Far West, avec ses tenues de rigueur. Le chapeau de cuir, la chemise à carreaux, l’épaisse ceinture, les boots. Du cow-boy costaud façon fort des Halles. Des cow-girls aux mensurations voluptueuses (90/60/90, pour la cuisse gauche).

On vient ici entre amis, en famille, respirer une autre réalité, déambuler dans les petites rues, les artères larges jalonnées de baraques à frites, à hot-dogs, à poutines et pattes de castor, d’étals proposant un florilège de chapeaux, de lassos, de ceintures, d’étoiles de shérif, de diverses productions artisanales. Des notes de musique country (pop, rock, folk et traditionnel) s’élèvent un peu partout ; sur les diverses scènes et sous les chapiteaux alternent plusieurs groupes, bals et ateliers de danse country. Chevaux, cavaliers, carrioles et diligences sont légion. Un cinéma en plein air affiche sa programmation de westerns. La Halte au cow-boy dresse son grand ­déjeuner-brunch d’œufs au bacon et de soupes aux fèves. Le festival de Saint-Tite possède des allures de Fête de l’Huma. Popu pur jus. Foin de cocos mais des cow-boys. Une communauté qui vient ici depuis plus de ­quarante ans.

Le festival est né en 1967, à l’initiative de la famille Boulet, fabricants de bottes en cuir. La marque parade toujours et encore dans le bourg. En 1967, c’est alors une journée de rodéo, organisée sur le terrain de baseball municipal. Le temps est à la flotte. Pas moins de 6 000 personnes néanmoins se pressent. Deux ans plus tard, en 1969, un comité pose les bases de ce que deviendra Saint-Tite, un country-western hors de l’ordinaire. En 1974, la manifestation recense déjà 250 000 personnes. Moins visiteuses que participantes. On s’immerge, on s’investit. Au fil des années, les estrades, les scènes, les écuries et les routes en gravier s’additionnent ; un terrain de camping est aménagé.

En 2007, pour son quarantième anniversaire, l’événement accueille 726 000 festivaliers (soit près de 10 % de la population du Québec). Aujourd’hui, 630 bénévoles résidant au village sont impliqués dans une organisation comptant des équipes de médecins, de vétérinaires. Les prix attribués aux compétiteurs du rodéo atteignent les 460 000 dollars canadiens (environ 341 000 euros).

Le rodéo est bien évidemment le point d’acmé du festival. C’est lui qui attire, passionne les foules, pousse les adrénalines. Plus de 400 cow-boys professionnels viennent se produire, du Canada, des États-Unis, parfois du Mexique. Saint-Tite est devenu l’un des plus importants rodéos en Amérique du Nord. Avec une arène de 7 500 places. Surexcitée mais silencieuse pendant quelques secondes devant la prière du cow-boy, entonnée en préambule à chaque rodéo. À la fois sportive et spectaculaire, portée par des athlètes de haut niveau, chevronnés, la compétition se décline en plusieurs disciplines, suivant des règles très précises.

À commencer par la monte de cheval sauvage avec selle, épreuve reine, à voir comme une chaise berçante du cavalier sur sa monture. Le cow-boy s’accroche d’une main comme un beau diable à une rêne tressée attachée au licou placé sur la tête de la bête, l’autre main devant rester haut levée. Hardi petit ! Et souffle retenu. Au sortir du box, huit secondes à tenir comme ça avant de retomber sur ses talons. S’il peut, sous peine d’être disqualifié. Et y en a pas des bottes. Ils seront trois sur douze à passer le cap des huit secondes, comme pour la monte de cheval sauvage sans selle, qui voit le cavalier agrippé à la poignée en cuir d’une large ceinture passant sous le torse de l’animal, jouant des éperons.

Autre épreuve, la course de barils, réservée aux femmes, une course contre la montre incluant plusieurs virages. Le chronomètre se déclenche au moment où la cow-girl coupe une ligne de départ, à l’entrée de l’arène. Elle doit effectuer un tracé autour de trois barils debout, disposés comme un trèfle. Si un baril tombe au sol, la cavalière est pénalisée de cinq secondes sur son temps. Les meilleurs chronos tournent entre seize et dix-sept secondes. À chaque baril effondré, la foule hurle son dépit. Pour le coup, ça rue dans les brancards.

Plus spectaculaire est l’épreuve d’échange de cavaliers. Un premier entame un tour de manège, du trot au galop ; le second, dans une zone délimitée par des perches, en pleine course, monte sur le cheval tandis que son partenaire en redescend, toujours à la même allure, dans une même parcelle d’échange, et toujours sous l’œil du chronomètre. Affaire d’agilité, de souplesse et de rapidité.

Au reste, ces cow-boys n’ont plus la pesée d’un Samson mais affichent la taille d’une guêpe. Ça n’empêche pas les ratages, les chutes violentes, ni les blessures sous les vivats et les encouragements du public.
Dans le même genre, la course de sauvetage jette sur la scène deux autres cavaliers partageant l’un après l’autre la même monture, le plus rapidement possible, suivant un dispositif de perches.

Entre chaque discipline, un bateleur se charge de maintenir l’ambiance, éructe au micro, chante, bat la mesure des applaudissements tandis que les chapeaux volent. On appelle ça une foule en délire. Qui attend son Colisée, son apothéose : la monte du ­taureau sauvage. Ça ne rigole plus. Terminé les cajoleries. Car si le cheval sauvage est retors, il est rarement dangereux. Indocile, le taureau, c’est peu dire.

La bête fait ses 900 kilos, maintenue entre les barreaux de fer d’un box. Sur elle, attaché à l’aide d’une corde ceinturant l’animal à la taille, un cow-boy de 68 à 70 kilos. Certains portent un casque, d’autres pas. Question de fierté. La corde est solidement enroulée autour de sa main. Quand le box s’ouvre, que le bestiau s’échappe, se cabre violemment, l’homme doit à la force de ses jambes de rester sur le dos du taureau le temps des huit secondes réglementaires. Encore faut-il tenir. À la chute, gare aux ruades furieuses. Il n’y a guère que deux vachers habiles au lasso qui parviennent à ramener péniblement la bête dans son box.

Ce jour-là, sur seize concurrents, un seul a tenu huit secondes la monte du taureau, quand tous ont éprouvé pour la énième fois une colonne vertébrale en déconfiture. Tandis que la foule quitte ses gradins pour retrouver l’animation du village, transpirant de sentiments, les rues de Saint-Tite révèlent soudain moins un folklore que l’attachement aux racines, aux origines, une quête d’identité. Pas un déguisement mais l’appartenance à une culture.

[^2]: Au Canada, personne qui dispose et conduit le bois flotté.

Monde
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