La foire à l’imposture

Denis Sieffert  • 12 janvier 2012 abonné·es

Si, demain, Nicolas Sarkozy annonce la création de kolkhozes dans nos campagnes et s’il appelle à la constitution de quelque chose qui, de loin, ressemblerait à des soviets, il faudra le croire. Car nous entrons dans cette période de folle turbulence où tout est possible. Et, qui plus est, avec un personnage capable de tout. À partir de maintenant, une seule chose compte pour le locataire de l’Élysée : le renouvellement de son bail. Certes, Nicolas Sarkozy n’est ni le premier ni le dernier à user de démagogie à l’horizon d’une échéance électorale.

Mais la démagogie à laquelle il se livre aujourd’hui pour séduire les classes moyennes est à la mesure des faveurs qu’il a accordées aux riches, à la finance et aux banques. Pendant quatre ans et sept mois, cet homme a mis en œuvre une politique antisociale poussée jusqu’à la caricature. Jamais, avec aussi peu de retenue, un président de la Ve République n’avait servi la cause exclusive des catégories les plus favorisées. Même l’aristocrate Giscard d’Estaing n’avait pas osé aller aussi loin ! Nicolas Sarkozy est un néolibéral comme on est un nouveau riche. Avec ostentation et arrogance. Avec agressivité aussi, à l’encontre des catégories les plus pauvres. Mais, durant les quatorze semaines qui nous séparent de la présidentielle, il ne faudra pas chercher d’autre cohérence dans ses faits et gestes que l’obsession d’être réélu. Sans entamer sérieusement une politique très antisociale, il tentera de séduire ceux qu’il n’a cessé d’attaquer. On va repeindre la devanture. Et qu’importe si la peinture ne tient pas !

Le comble de l’opportunisme a été atteint en fin de semaine dernière avec l’annonce de l’institution d’une « taxe Tobin ». Cette disposition, qui consiste à taxer, même de façon minime, les transactions financières, avait été remise au goût du jour en 1998 par Attac. Que n’avait-on entendu alors, de droite (Sarkozy, déjà), et de gauche (DSK encore pimpant) ? Que n’avait-on dit sur l’irresponsabilité de ces altermondialistes attachés à ruiner notre économie ? Les plus magnanimes reconnaissaient que la mesure était aimable, mais qu’elle devait être appliquée en même temps par la terre entière. Autrement dit, jamais. Et voilà qu’aujourd’hui la fameuse taxe devient l’argument de campagne du candidat-président, qui s’apprête à jouer les Bonaparte sur le pont d’Arcole, partant seul à l’assaut de la finance internationale. La ficelle est énorme.

Et, à y regarder de plus près, la taxe de M. Sarkozy n’a pas grand-chose à voir avec le prélèvement imaginé au début des années 1960 par l’économiste James Tobin, proche de John Kennedy. Il s’agirait d’une taxe sur les seuls échanges d’actions, aux effets si peu antilibéraux que la City – la bourse de Londres – l’appliquerait déjà. Mais ce n’est pas la chose qui compte, ce sont les mots. Tout aussi cynique, l’invitation faite aux salariés de SeaFrance à risquer leurs indemnités dans une opération hasardeuse de rachat de leur entreprise… Hasardeuse, en effet, comme l’a prouvé la décision du tribunal de commerce, lundi, qui a prononcé la liquidation. Au même chapitre, il faut encore citer cette « TVA sociale » qui se présente comme une mesure protectionniste, alors qu’elle n’est qu’un impôt de plus, injuste et de nature à aggraver la récession.

Ce sont bien sûr les sondages qui inspirent à Nicolas Sarkozy et à son entourage cette frénésie de mesures contradictoires. Nous en serons abreuvés d’ici au mois d’avril. Il ne faut pas trop leur prêter d’importance puisqu’ils situent l’élection dans un contexte qui n’est jamais le vrai. Un contexte si irréel que (rions un peu) 1 % des électeurs de Sarkozy au premier tour annoncent vouloir voter Hollande au second. On est stratège ou on ne l’est pas ! Tout de même, le dernier sondage Ifop- JDD , du 8 janvier, nous dit une chose qui détermine fortement l’attitude du candidat-président : l’électorat de Marine Le Pen serait très hésitant en cas de second tour Hollande-Sarkozy.

Mais la chasse à l’électeur néolepéniste est plus complexe qu’autrefois. Pour plaire, il ne suffit plus de traquer les immigrés, ni de célébrer Jeanne d’Arc, ni de donner de l’identité française une définition qui nous rapproche plus du Hongrois Viktor Orbán que de la Constitution de l’an I. On pourrait poser la question en ces termes : comment récupérer les voix de l’extrême droite quand celle-ci convoite les voix de la gauche ? Tous les opportunismes, toutes les contorsions, tous les reniements sont à prévoir, et à redouter. Une image désolante de la politique qui va désorienter nombre de nos concitoyens. On ne sait comment ils réagiront. La clé appartient largement à la gauche. Peut-elle dans cette foire à l’imposture être suffisamment claire ? Et clairement de gauche ? La question se pose à François Hollande. Pour Jean-Luc Mélenchon, la problématique est tout autre. Réussira-t-il à être audible ? Pourra-t-il échapper à cette machine à broyer que l’on appelle « le vote utile » ?

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes