Italie : Le maintien au pouvoir pour tout programme

En formant un gouvernement avec les pires dirigeants berlusconiens, le Parti démocrate se déconsidère encore un peu plus.

Olivier Doubre  • 2 mai 2013 abonné·es

«UMPS », on connaît l’apostrophe grossière de Marine Le Pen visant les deux grands partis français de gouvernement, tendant à les mettre selon l’expression populaire « dans le même panier ». Sans vouloir tenter une comparaison de mauvais aloi, Beppe Grillo a mené une bonne partie de sa campagne sur le même type d’association douteuse. Le comique populiste a pris beaucoup de voix à la gauche avec un discours très vif contre une classe politique italienne quasi inamovible depuis plus de vingt ans. Ainsi, il n’a cessé de parler du PDL (le Parti des libertés, de Berlusconi) et du « PD meno L   », littéralement « PD moins L », soit le « Parti démocrate sans le L ». La formation, dimanche 28 avril, d’un gouvernement de « large entente », parfois qualifié de « governissimo », rassemblant une part de la direction du PD et du PDL, semble, hélas, lui donner raison. Mais c’est aussi l’ultime tentative d’une alliance aux fins d’un sauvetage corporatiste, in extremis, d’une classe politique aux abois, prête à tout pour se maintenir sous les lambris du pouvoir, toutes convictions idéologiques oubliées. Exactement ce qu’en son temps Pier Paolo Pasolini appelait non sans mépris « il palazzo » (le palais) pour décrire l’élite démocrate-chrétienne qui, par des manœuvres incessantes, ne quittait jamais les allées du pouvoir.

Or, ce nouveau gouvernement est dirigé par le jeune Enrico Letta, jusqu’ici numéro 2 du PD et symbole – ou caricature – de l’élite politique actuelle. Il devient en 1998, à 32 ans, le plus jeune ministre depuis l’après-guerre, en charge des politiques communautaires dans le premier gouvernement D’Alema, puis dans les gouvernements de centre-gauche suivants et jusqu’à la défaite de 2001. En 2006, il est vice-président du Conseil, succédant alors… à son oncle, Gianni Letta. Celui-ci, conseiller de Berlusconi à la direction de sa holding télévisuelle puis en politique, par ailleurs membre depuis 2007 de l’Advisory Board de la banque Goldman Sachs, succédera à son tour, en 2008, à son neveu, avec le retour au pouvoir du Cavaliere. Aujourd’hui, la désignation d’Enrico Letta par le président Napolitano, lui-même réélu grâce à l’alliance PD-PDL, est pain bénit pour Beppe Grillo. L’écœurement des Italiens ne peut être qu’à son comble, en particulier pour ceux qui ont voté en faveur des listes du comique dénonçant les petits arrangements entre amis au sommet du système politique. Des listes sur lesquelles figuraient néanmoins nombre de militants et d’activistes de luttes locales, sociétales, écologistes, contre la corruption et les mafias…

Et il n’est pas nécessaire d’être un fin observateur pour deviner la politique que va conduire (ou plutôt poursuivre) ce gouvernement, improbable au départ sur le papier. La politique que les élites économiques, pétries d’idéologie néolibérale, demandent, désirent et exigent, entraîne davantage d’inégalités dans un pays où elles ont déjà atteint des sommets révoltants (avec un chômage endémique, surtout chez les jeunes et dans le Sud du pays, et les plus bas salaires d’Europe occidentale). Une politique d’austérité toujours plus sauvage, défendue sans vergogne par ces mêmes élites… On dit souvent que la vie politique italienne serait un laboratoire politique et institutionnel pour l’Europe entière. Or, la formation de ce gouvernement Letta, dont le ministre de l’Intérieur n’est autre que le « dauphin » de Berlusconi, Angelino Alfano, secrétaire national du PDL, est l’incarnation de l’indignité politique poussée à l’extrême. Le signe de l’affront décomplexé vis-à-vis de la volonté du peuple. Le signe du mépris d’une classe dominante, économique et politique, qui, in fine, risque bien de courir à sa perte. Sans faire un quelconque parallèle, le fait qu’un « déséquilibré » ( dixit les agences de presse), chômeur de longue date, originaire du Sud du pays, ait tiré plusieurs coups de feu contre les carabiniers gardant le palais de la présidence du Conseil ne doit-il pas faire réfléchir ? Et ce au moment même où le nouveau gouvernement d’Enrico Letta prêtait serment devant le président de la République. Ne devrait-on pas y voir, au-delà de l’acte d’un homme ayant perdu la raison, le symbole à la fois de l’impuissance du peuple contre ses élites, mais aussi un geste désespéré contre une caste, un personnel politique se croyant intouchable ?

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