Catherine Anne prend la clé des champs

Exclue du TEP, l’artiste crée un théâtre féminin et recueille la parole des petites bourgades.

Gilles Costaz  • 16 janvier 2014 abonné·es

On a retrouvé Catherine Anne ! Elle n’avait pas tout à fait disparu depuis son éviction du Théâtre de l’Est parisien (le TEP, rayé de la carte en juillet 2011 et remplacé par le Tarmac), mais elle s’était diluée dans la marge. On l’avait vue présenter ici et là sa pièce jeune public, Crocus et Fracas, et donner dans le off d’Avignon 2012, au Théâtre des Halles, ses Comédies tragiques. Mais elle s’était échappée des scènes parisiennes. La revoilà en pleine lumière. À Ivry, elle vient de créer un diptyque où elle donne en continuité, ou en soirées séparées, deux nouvelles mises en scène : sa pièce Agnès, sur l’inceste commis par un père qui abuse de sa fille, et l’École des femmes, de Molière. Les deux spectacles, qui se rejoignent sur une thématique commune, ont l’originalité d’être joués uniquement par des actrices. Morgane Arbez, Marie-Armelle Deguy, Évelyne Istria et leurs six partenaires interprètent soit les personnages masculins, soit les personnages féminins dans les deux pièces.

En avril prochain, Joël Pommerat montera la première pièce de Catherine Anne, Une année sans été, qui fit grand bruit à sa création, en 1987. Pour elle, 2014 est-elle l’année de la revanche ? Non, elle n’emploie pas ces mots-là. C’est une femme blessée qui est partie du Théâtre de l’Est parisien, il y a près de trois ans. Le ministre de la Culture d’alors, Frédéric Mitterrand, lui avait montré la sortie en l’assurant de son soutien ! Elle ne lui pardonne rien aujourd’hui : « Il m’a baladée, il s’est payé ma tête et je ne suis pas la seule. Je l’ai entendu parler de son livre [^2]. Comment peut-on appeler l’exercice du ministère de la Culture une “récréation” ? Je l’ai trouvé insultant en tant que femme et artiste. » Comme elle déteste l’exercice du pouvoir, Catherine Anne ne voit pas que des inconvénients dans sa nouvelle liberté : « Le TEP était une grande chance et une grande charge. Quand j’ai tiré la porte, j’ai senti le poids du sac à dos en moins. C’était apeurant et réconfortant. »

Depuis, l’artiste a habité et traversé les villages pour un travail de longue haleine qui s’appelle précisément Loin des villes, loin des théâtres. Elle veut entendre et recueillir ce que disent de la ville les gens des petites bourgades. Elle a commencé à Pelvoux (Hautes-Alpes) puis continué en Seine-et-Marne et en Bretagne. Là où elle est allée, elle a donné un spectacle à partir de ce qu’elle a observé. Plus tard, Catherine Anne écrira la pièce qui s’imposera à elle, une fois maîtrisée la profusion de ces centaines d’impressions. Son diptyque féminin, qui n’a pour le moment que trois dates de tournées, elle en a obtenu patiemment les moyens, rencontrant quelques mains tendues et beaucoup de promesses non tenues. Elle pense que tout est devenu plus difficile. « À présent, c’est Adel Hakim qui m’aide, à Ivry. Autrefois, personne ne voulait d’ Agnès. On ne parlait pas de ça. Christine Angot n’avait pas encore publié l’Inceste. Sans Jean-Claude Fall, à Saint-Denis, la création de ce texte n’aurait pas été possible. » Catherine Anne engage, comme malgré elle, toutes sortes de combats. Comme de protester contre le fait, ahurissant, que « les subventions accordées aux artistes de théâtre femmes sont de 20 % inférieures à celles qu’on donne aux hommes ». Comme dans la société dite civile !

[^2]: La Récréation , Robert Laffont, 2013.

Théâtre
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