Les municipales à Montreuil, une (triste) affaire de famille

À Montreuil, en Seine-Saint-Denis, la gauche s’entre-déchire pour conquérir la mairie. Au grand dam des électeurs déboussolés, tentés par l’abstention.

Pauline Graulle  • 20 février 2014 abonné·es

Coups de théâtre, luttes fratricides, guerres picrocholines… À Montreuil (93), la bataille pour la mairie a pris des airs de tragédie politique. Une triste histoire qui risque de se terminer par une abstention record de la part d’une population d’ordinaire très concernée, mais aujourd’hui déboussolée. Et pour cause : en face d’une seule – et anecdotique – candidature de droite, pas moins de sept listes de gauche (dont LO et le NPA) s’affrontent sans merci. Une tension qui suscite tracts anonymes, permanences vandalisées et vidéos volées. Au point qu’à la demande du candidat Front de gauche, Patrice Bessac, un débat public avec la quasi inconnue candidate UMP était organisé fin janvier. Histoire de rappeler qu’il ne faut pas se tromper d’adversaire… et tenter de sortir de l’affligeant spectacle donné par la gauche montreuilloise.

Une « famille » où les anciens frères d’armes sont devenus les meilleurs ennemis. Si tous les acteurs de ce petit drame politique affirment désormais vouloir « prendre de la hauteur » pour faire oublier ce qu’ils qualifient eux-mêmes de « campagne de caniveau », il suffit de quelques minutes d’entretien pour que les noms d’oiseaux volent à nouveau. Nul n’horripile plus Mouna Viprey, figure du PS local avant d’en être exclue en 2007 – mais qui se dit toujours « socialiste »  –, que l’ancien camarade Razzy Hammadi. Le jeune apparatchik parachuté par la rue de Solférino le lui rend bien, estimant que « Mouna, mieux vaut ne pas l’avoir sur sa liste ». Côté communistes, Jean-Pierre Brard, maire de Montreuil de 1984 à 2008, qui persiste à coller sur ses affiches le logo « Front de gauche » alors qu’il a rompu avec le PCF il y a une vingtaine d’années, n’a pas de mots assez durs contre Patrick Bessac. Ce dernier, proche de Marie-George Buffet, mis en travers de sa route sur ordre du parti, n’est pourtant autre que… son ancien directeur de campagne, officiellement investi, lui, par le Front de gauche.

Reste Ibrahim Dufriche, qui, pour l’instant, se contente de compter les points en espérant en tirer bénéfice. Mais, si le candidat écolo-citoyen « casté » par l’ancienne maire Dominique Voynet a fini par s’imposer au terme d’une primaire houleuse, il est aussi décrié en interne. C’est que le petit-fils adoptif du maire communiste historique de Montreuil est un illustre inconnu et un militant du… PS. Résultat des courses, quand les communistes font campagne sur deux listes concurrentes, les socialistes sont dispersés sur pas moins de quatre listes : Hammadi, Viprey, Dufriche, mais aussi Patrice Bessac, rejoint par Alexie Lorca, la présidente du groupe socialiste au conseil municipal de Montreuil. Comment expliquer cet imbroglio politique ? D’abord, par l’évolution sociologique de la ville : « Montreuil a toujours connu de grands mouvements de population, ce qui explique pour une part cette fluidité électorale », analyse Patrick Petitjean, ancien candidat EELV en 2001. Une ville de plus en plus inégalitaire entre le bas-Montreuil « boboïsé » par la pression immobilière parisienne et le haut-Montreuil, où les classes populaires se sont paupérisées un peu plus à cause de la crise. Bref, offrant un terreau peu propice à l’unité politique.

L’éparpillement de la gauche prend aussi ses racines dans l’histoire récente de Montreuil. Le règne sans partage, et durant deux décennies, de Jean-Pierre Brard, accusé d’avoir mis en place un « système clientéliste et une gestion opaque », a laissé des traces. « On a dit à Brard qu’il devait transmettre le pouvoir à une nouvelle génération, mais il a refusé », dit sobrement Bessac. D’autres candidats lui reprochent carrément d’avoir divisé l’opposition en achetant le silence de ses opposants par des distributions de postes. Depuis, les crises se sont succédé au sein du PS municipal. Jusqu’à ce que le torchon brûle, il y a six ans, lorsque la direction du PS a offert son soutien à Brard, contre l’avis des socialistes montreuillois emmenés par Mouna Viprey, lesquels avaient décidé de soutenir Dominique Voynet… En novembre, le désistement surprise de celle qui avait ravi la ville à l’indéboulonnable Brard n’a pas eu pour effet d’apaiser le climat. Sa décision a créé un appel d’air à gauche. Et aiguisé les appétits pour cette ville, deuxième commune la plus peuplée du 93, amenée à jouer un rôle important dans le Grand Paris, et qui a voté à plus de 75 % pour François Hollande au second tour.

Aujourd’hui, si le premier tour ressemble à un panier de crabes, le suspense est encore plus intense pour le second. Certes, pour beaucoup à Montreuil, le pire serait de voir revenir aux manettes le favori Jean-Pierre Brard. Mais, vu les divisions actuelles, l’option « tous contre Brard » est une gageure. Hammadi, pour l’instant le mieux placé pour croiser le fer avec l’ancien « monarque », ne peut compter sur un rassemblement avec Mouna Viprey, qui n’a de cesse de dénoncer les « tambouilles politiciennes d’un PS qui règle ses comptes sur le dos des Montreuillois ». Hammadi s’est aussi attiré les foudres du clan Voynet-Dufriche. Les deux lui reprochent de les avoir « trahis » en se présentant aux municipales alors qu’ils l’avaient soutenu aux dernières législatives. Au PCF, un retour de Bessac, qui rassemble autour de lui toutes les organisations du Front de gauche, dans le giron de Brard semble improbable, même si ce dernier aime à faire courir le bruit qu’il pourrait en être autrement. Après tout, la décision finale des alliances reviendra à Claude Bartolone et à Pierre Laurent, les deus ex machina de cette histoire. Le premier, qui, au PS, tire les ficelles de la Seine-Saint-Denis, a fait d’Hammadi son « Barto Boy » et reste en bons termes avec Mouna Viprey, son ancienne protégée. Quant à Pierre Laurent, il pourrait, de la place du Colonel-Fabien, tenter de convaincre de la nécessité que Montreuil revienne dans les mains d’un communiste… même dissident. Derrière les batailles d’ego, se cachent de vraies guerres d’appareil.

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