Les deux fronts de la guerre israélienne

Les manifestations constituent finalement la seule note de justice et de vérité. Et d’espoir. Il faut donc conserver toute leur force morale et leur probité.

Denis Sieffert  • 23 juillet 2014 abonné·es
Les deux fronts de la guerre israélienne
À nos lecteurs : Nous voilà à la veille de notre suspension annuelle de parution. Un impératif à la fois économique, social et moral, mais qui nous fait regretter tout de même de ne pouvoir continuer de commenter cette actualité. Politis reparaît le jeudi 28 août. Nous vous souhaitons de bonnes vacances et une bonne lecture de notre dossier préparé par Ingrid Merckx, qui pose, à partir du combat des intermittents, la vaste question du rapport au travail, du temps libre et de son salaire…

En ce terrible été 2014, deux actualités internationales se croisent et se recroisent devant nos yeux, au point parfois de se confondre. À l’est de l’Ukraine, les soldats perdus d’une armée morte errent au milieu des débris de l’appareil de la Malaysia Airlines, victime collatérale d’une guerre trop vite oubliée. Depuis Gaza, les images nous viennent de corps ensanglantés entassés dans des hôpitaux de fortune, et de volutes de fumée noire qui marquent au loin le lieu d’un nouveau crime. Ce ne sont pas tant les images qui se ressemblent, que les commentaires qui, involontairement, créent la confusion. Car ces « États-Unis qui font pression… », ce « Barack Obama qui menace » pourraient être interchangeables. Mais non. C’est sur Poutine, et lui seul, qu’ils font pression, et c’est le Président russe qu’ils menacent de nouvelles sanctions financières s’il ne lâche pas définitivement les milices séparatistes. Jamais Benyamin Netanyahou. Le Premier ministre israélien peut bien continuer à noyer Gaza sous un déluge de bombes.

À l’heure où j’écris ces lignes, c’est comme si deux longs courriers avaient déjà été abattus, et qu’un troisième était en cours de destruction. Et rien n’est fait pour empêcher la nouvelle catastrophe. Il est vrai que les « passagers » sont Palestiniens, et que ces « gueux », affamés par sept ans d’un blocus inhumain, ne comptent guère dans le paysage économique et politique de nos pays. Pourquoi cet abandon désormais habituel ? Une guerre israélienne se mène toujours sur deux fronts : d’un côté, les bombes et les chars ; de l’autre, la désinformation et le bâillon. Le gouvernement israélien sait que son plus redoutable ennemi n’est pas le Hamas, mais l’opinion publique. Si un peu partout dans le monde les manifestations viennent à gagner en ampleur, si l’indignation et la colère montent des capitales européennes ou – pire encore – de Tel-Aviv, il sait qu’il va devoir lâcher prise. Les bombes, Israël s’en charge. Mais sur le deuxième front, M. Netanyahou a besoin d’alliés sûrs et peu regardants sur les méthodes. Particulièrement à Paris, enjeu important depuis toujours de cette guerre de l’opinion, parce que la France est le pays des plus fortes communautés juives et musulmanes, mais aussi parce que, depuis de Gaulle, elle s’est souvent montrée indocile. Sarkozy s’était déjà rapproché d’Israël en s’alignant sur les États-Unis. Mais voilà qu’avec Hollande et Valls, on va plus loin. Il y a dans leurs discours un supplément d’affect. Manuel Valls s’exprime à peu près comme un dirigeant du Likoud. Sans un mot, ni un regard pour les centaines de victimes palestiniennes.

Et tous ceux qui manifestent leur émotion et leur indignation sont des antisémites. Si bien qu’il est urgent de les faire taire. Toute la force du discours des dirigeants israéliens, repris hélas par nos voix les plus officielles, tient dans cet oubli volontaire qu’ils ont même réussi à effacer de la conscience de leur peuple : ils colonisent à tour de bras la Cisjordanie et Jérusalem-Est, ils imposent à Gaza une misère insupportable. Et ils humilient sans cesse ceux des Palestiniens qui, comme Mahmoud Abbas, ont fait le choix de négocier avec eux. Si bien qu’ils ont réussi à faire le succès du Hamas dans l’opinion palestinienne. Comme ils feront demain celui de jihadistes autrement plus incontrôlables. Mais il y a quelque chose qui échappe à ce récit devenu obligatoire du conflit israélo-palestinien : ce sont les images. Le fascisant ministre des Affaires étrangères israélien, Avigdor Lieberman, a bien songé à les faire interdire, mais le pas n’a pas encore été franchi. Ces images défilent donc, produisant un peu partout émotion et colère. Une colère parfois folle, et en effet inacceptable, quand elle s’attaque à une synagogue ou à des commerçants juifs, comme ce fut le cas à Sarcelles, le 19 juillet. Mais une colère presque toujours saine, qui reste sur le terrain de la protestation civique et de l’appel à la conscience.

Dans le silence d’une communauté internationale qui ne peut dissimuler sa complicité, et face à un discours totalement bloqué qui occulte en permanence la dimension coloniale du conflit pour le transformer en « choc des civilisations », les manifestations internationales constituent finalement la seule note de justice et de vérité. Et d’espoir. Il faut donc conserver toute leur force morale et leur probité. Quant à notre duo exécutif, il serait plus audible dans sa lutte contre l’antisémitisme s’il interpellait publiquement les dirigeants israéliens. Ce n’est pas seulement son silence sur les crimes actuels qui est coupable, c’est le refus permanent de dénoncer haut et fort la colonisation et le blocus. Répéter à tout bout de champ qu’il ne faut pas importer en France le conflit israélo-palestinien, c’est bien, pourvu que ce slogan n’apparaisse pas comme un appel à l’indifférence et au cynisme. Une invitation à renoncer à toute solidarité. Et comme une pièce dans la guerre israélienne de l’information.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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