« Mange tes morts », de Jean-Charles Hue : Gens du grand voyage

Avec Mange tes morts , Jean-Charles Hue met des Yéniches en scène dans un beau film nocturne.

Christophe Kantcheff  • 17 septembre 2014 abonné·es
« Mange tes morts », de Jean-Charles Hue : Gens du grand voyage
© **Mange tes morts** , Jean-Charles Hue, 1 h 34.

C’est le retour du fils prodigue. Fred sort de prison, où il a purgé une longue peine pour assassinat. Jason, son jeune demi-frère de 18 ans, l’a à peine connu. Il a construit un mythe autour de l’absent. Et voici comment Jean-Charles Hue filme les retrouvailles. Chez les siens, dans le camp des gens du voyage, Fred fait avec sa voiture une entrée spectaculaire et mouvementée. Puis la voiture s’arrête. Jason se précipite vers elle. Mais, quand il la rejoint, il n’y a personne. Jason se retourne et voit Fred planté devant lui, immense, éblouissant dans le soleil. Après la BM du Seigneur (2010), Jean-Charles Hue retrouve les Yéniches, ces Gitans qui viennent d’Europe de l’Est, en particulier d’Allemagne. Si, dans son premier long métrage, la dimension documentaire s’imposait, Mange tes morts témoigne d’un grand appétit de fiction. Fred, qui dit avoir gardé le même esprit qu’à ses 19 ans, ne reconnaît pas le monde des Gitans qu’il a laissé. Il lui semble trop apaisé, résigné. Lui veut renouer avec la « morale » du danger et de l’illégalité. Il entraîne dans son aventure nocturne un autre frère, Mickaël, une tête brûlée, et Jason. Celui-ci est à un moment de sa vie où il hésite à se faire baptiser, cérémonie fondamentale chez les Yéniches, qui signifie le passage à une vie d’adulte responsable. La virée nocturne que lui propose Fred est un autre rituel initiatique, menant dans une direction très différente…

Le retour parmi les siens, le combat ultime, la solidarité fraternelle, le rite de passage… Jean-Charles Hue manipule les grands thèmes du cinéma de genre, du western en l’occurrence, la « monture » du temps des grands exploits de Fred lui étant rendue par ses affidés, qui l’avaient sauvegardée : une Alpina. Mange tes morts est aussi un film noir qui avance à tombeau ouvert, superbement mis en scène. La longue séquence de course-poursuite avec les flics est tout bonnement sublime, où les frères, tant qu’ils sont dans l’habitacle de la voiture avec Fred au volant, et malgré des coups durs, semblent impossibles à arrêter. En deux films, Jean-Charles Hue a jeté les bases solides d’une œuvre très singulière et unique dans le cinéma français, où jusqu’ici les Yéniches n’existaient pas. Ils y sont désormais de plain-pied, et sans aucun folklore. Au contraire, il y a quelque chose d’archaïque et d’universel dans le défi insensé lancé par Fred, qui n’est autre qu’une confrontation directe avec son destin. Mange tes morts est un film à la beauté lyrique.

Cinéma
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