Burkina Faso : Une forte tradition de résistance

Après la chute de Blaise Compaoré et l’intervention de l’armée, la population exige un véritable processus démocratique. Une révolte aux racines déjà anciennes.

Lou-Eve Popper  • 6 novembre 2014 abonné·es
Burkina Faso : Une forte tradition de résistance
© Photo : AFP PHOTO / ISSOUF SANOGO

La situation restait tendue, mardi, à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Après la chute du président Blaise Compaoré, la haute hiérarchie militaire a placé à la tête du pays le lieutenant-colonel Isaac Zida, numéro 2 de la garde présidentielle. Mais l’opposition, la société civile et la population réclament un pouvoir civil.

La journée du 2 novembre a été particulièrement éprouvante. Les manifestants s’étaient rassemblés sur la place de la Nation pour protester contre la confiscation du pouvoir par l’armée. Mais les militaires les ont chassés à coups de gaz lacrymogène et de tirs de sommation. Dispersant aussi plusieurs centaines de personnes devant la radio-télévision nationale, où un général et ex-ministre de la Défense, Kouamé Lougé, et une dirigeante d’un petit parti politique, Saran Sérémé, ont vainement tenté de se proclamer chef de l’État devant les caméras. En fin de journée, après une rencontre avec les chefs de l’opposition, Isaac Zida a renouvelé son engagement pour une transition concertée avec toutes les composantes de la société. Le lendemain, le lieutenant-colonel poursuivait des consultations avec les ambassadeurs de France et des États-Unis, deux alliés de poids. Après vingt-sept ans de règne et une contestation d’une ampleur sans précédent, Blaise Compaoré avait annoncé sa démission le 31 octobre, «   dans le souci de préserver les acquis démocratiques, ainsi que la paix sociale ». Peu après, le général Honoré Traoré, chef d’état-major des armées, avait déclaré qu’il assumait les fonctions de chef de l’État pendant la transition. Une autoproclamation contestée par l’autre prétendant, Isaac Zida, qui devait finalement obtenir le retrait de son rival. C’est l’annonce d’un projet de révision constitutionnelle – qui aurait permis à Blaise Compaoré de se représenter à la présidentielle de 2015 – qui avait jeté des centaines de milliers de Burkinabés dans la rue. Cependant, la contestation était en germe depuis longtemps, car le pays est marqué par une solide tradition contestataire. La révolte n’est pas une surprise, elle était même prévisible. Pour Lila Chouli, auteur de l’ouvrage Burkina Faso 2011. Chronique d’un mouvement social  [^2], le pays était au bord de l’implosion depuis déjà quelques années. En 2011, il avait été secoué par un important mouvement populaire après la mort d’un collégien victime de brutalités policières. Des mutineries avaient éclaté au sein de l’armée, et nombreux sont ceux qui imaginaient déjà la chute du régime. La question de l’article 37 de la Constitution, celui que le Président a voulu modifier, occupait déjà le débat politique.

Si l’insurrection de 2011 avait fini par se calmer, elle aurait dû constituer un avertissement pour Blaise Compaoré et son clan. Le Président se sentait alors protégé par la France, mais la population n’avait pas désarmé. C’est pourquoi Lila Chouli parlait dès 2012 de «  trêve sociale et non d’une démobilisation  ». Au fond, la rébellion actuelle n’est que la conséquence directe d’un mouvement social qui se structure depuis 1998, avec la « lutte contre l’impunité » consécutive à l’assassinat du journaliste Norbert Zongo, et dont l’expression paroxystique a été le mouvement social de 2011. Ce dernier a notamment été initié par les organisations syndicales et de défense des droits humains, qui ont permis à des révoltes spontanées, portées par les classes populaires, de mettre en discours leurs revendications. Lila Chouli rappelle que la mobilisation d’aujourd’hui aurait éclaté même si l’opposition politique n’avait pas appelé à manifester. «   Elle était prévisible à partir du moment où Compaoré faisait fi de la volonté populaire de ne pas le voir se présenter en 2015 », précise-t-elle. Les manifestants qui ont protesté contre le régime du Président restent cependant méfiants à l’égard de la classe politique dans son ensemble, opposition comprise. Personne n’a en effet oublié que c’est cette même opposition qui avait fourni ses cadres au régime, lui permettant de se stabiliser. Mardi, l’opposition, divisée, était encore silencieuse.

[^2]: Éd. Tahin Party, 2012.

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