Allemagne : Vague de xénophobie en ex-RDA

Un nouveau mouvement dirigé contre l’islam et l’immigration prend de l’ampleur. Correspondance, Rachel Knaebel.

Rachel Knaebel  • 29 janvier 2015 abonné·es
Allemagne : Vague de xénophobie en ex-RDA
© Photo : AFP PHOTO / ROBERT MICHAEL

« Il y a beaucoup à faire en ce moment », souffle Ali Moradi. L’homme travaille à l’association d’aide aux demandeurs d’asile de Saxe. Dans cette région de l’est de l’Allemagne, depuis deux mois, des milliers de personnes défilent presque chaque lundi dans les rues de la capitale régionale, Dresde, derrière une bannière siglée « Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident », « Pegida » en allemand. Lundi 12 janvier, peu après les attentats de Paris, la manifestation anti-islam avait réuni 25 000 personnes dans les rues de la ville. Un record depuis le début de ces marches hebdomadaires. « Les demandeurs d’asile ont maintenant peur de sortir de chez eux le lundi soir   », rapporte Ali Moradi. «   Nous constatons déjà les effets secondaires de ces manifestations   », témoigne également In Am Sayad Mahmood, de l’organe de représentation des étrangers de Dresde. «   L’ambiance s’est tendue. Les femmes qui portent le voile, en particulier, craignent les agressions. »

Le mouvement Pegida est né fin octobre dans cette ville est-allemande. Ses premières marches n’ont d’abord mobilisé que quelques centaines de personnes. Dans des « thèses » publiées sur leur site, les organisateurs ont rapidement dessiné leurs positions : contre une prétendue islamisation du pays, contre la politique d’asile, pour une politique migratoire plus restrictive et contre le «  gender-mainstreaming  » – l’intégration de la dimension de genre, une approche mondialement reconnue pour réaliser l’égalité des sexes. Au fil des semaines, ces rassemblements ont pris de l’ampleur. Même si, à chaque fois, ils font face à de larges contre-manifestations. Le mouvement nationaliste essaie maintenant d’essaimer ailleurs en Allemagne, à Cologne, Berlin ou Hanovre. Avec toutefois beaucoup moins d’écho. «   Au début, les marcheurs n’étaient que 400, mais les réactions populistes de certains politiques ont contribué à amplifier ce mouvement », dénonce Ali Moradi. Ainsi, après les premières manifestations de novembre, le ministre conservateur de l’Intérieur de Saxe annonçait la création d’une unité spéciale de police chargée de lutter contre les demandeurs d’asile délinquants récidivistes. Des représentants de l’AFD, le nouveau parti eurosceptique, de plus en plus à droite, ont exprimé leur sympathie pour le mouvement.

Bien connu pour ses sorties aux relents antisémites, comme lorsqu’il se plaignit, en 1995, du « trop grand nombre » de journalistes juifs à France Culture, Renaud Camus, condamné en 2014 pour « provocation à la haine religieuse et à la violence », a lancé le 18 janvier une « section française » de l’organisation allemande Pegida. Un rassemblement était initialement prévu place de la Bourse, à Paris, à l’initiative de Riposte laïque (promoteur en 2010 des « apéros saucisson-pinard »), du Bloc identitaire et de quelques autres groupuscules nauséabonds, mais il a été interdit par la préfecture. L’écrivain s’est donc réfugié dans un hôtel pour une conférence de presse improvisée, au cours de laquelle il s’est félicité de la présence de Melanie Dittmer. Cette ancienne journaliste de 36 ans, militante d’extrême droite et figure de Pegida outre-Rhin, était vêtue ce jour-là d’un seyant gilet pare-balles kaki piqué d’un badge « Je suis Charlie Martel ». Et Renaud Camus de saluer cette « ambassadrice » de la « grande espérance [qui] se lève aujourd’hui à l’Est » contre la « colonisation musulmane en cours »…

La chancelière Angela Merkel s’est, elle, exprimée contre les positions islamophobes de ces actions, déclarant que l’islam faisait partie intégrante de l’Allemagne. Mais, quelques jours plus tard, la porte-parole de Pegida était invitée sur le plateau de l’un des talk-shows les plus regardés du pays. Et une institution régionale publique dédiée à l’éducation politique a mis ses locaux à disposition pour accueillir une conférence de presse des organisateurs des manifestations anti-islam. Pour le directeur, il s’agissait d’ouvrir le dialogue avec le mouvement. «   En général, dialoguer arrange et clarifie beaucoup de choses, mais les organisateurs de ces marches ne cherchent pas le dialogue. Ils veulent juste amener du monde dans la rue, abêtir les gens avec de fausses informations et les effrayer avec une prétendue islamisation qui n’existe pas en Allemagne   », réagit In Am Sayad Mahmood. De fait, dans la région de Saxe, où Pegida s’est implanté, moins de 1 % des habitants sont musulmans. À peine plus de 2 % ont un passeport étranger. Et si l’Allemagne dans son ensemble accueille effectivement de plus en plus d’immigrés sur son sol, les trois quarts des arrivants sont des Européens. Depuis le début du mouvement, les responsables de Pegida se défendent d’appartenir à l’extrême droite ou d’être xénophobes, mais ils n’ont jamais refusé d’accueillir des néonazis dans leurs rangs. «   Il n’y a pas de néonazis dans la direction du mouvement, mais ils sont présents depuis le début dans les manifestations », a constaté Robert Kusche, de l’association RAA, qui accompagne depuis 1990 les victimes de violences racistes dans la région. L’ancien chef de Pegida, Lutz Bachmann, a même démissionné, le 21 janvier, après l’apparition sur Internet d’une photo de lui déguisé en Hitler et la remontée d’anciens posts racistes publiés il y a quelques mois sur un réseau social. Dans d’autres villes allemandes, les manifestions anti-islam organisées dans la lignée de celles de Dresde sont encore plus directement empreintes de xénophobie. À Leipzig, par exemple, où des marches « contre l’islamisation » ont réuni des milliers de personnes ces dernières semaines, les organisateurs se déclarent officiellement opposés au multiculturalisme. « L’extrême droite est implantée en Saxe depuis longtemps. Mais cela a été mis sous le tapis pendant des années. Personne ne voulait parler de racisme. Et puis nous nous sommes réveillés aux élections régionales de 2004   », explique Ali Moradi.

Cette année-là, le NPD, parti ouvertement néonazi, est entré au parlement régional de Saxe avec un score de plus de 9 % des voix. Il y est resté jusqu’à l’automne dernier, où il est passé juste en dessous du seuil des 5 % de suffrages. Mais, cette fois, c’est le parti AFD qui a atteint 9 %, avec des positions de plus en plus proches de la droite radicale. «   Nous ne nous attendions certes pas à ce que ces manifestations attirent autant de monde. Mais, vu le nombre d’électeurs de l’AFD et du NPD dans la région, nous savons qu’il y a un potentiel pour de telles positions   », souligne Robert Kusche. La nouveauté de ce mouvement est de se concentrer plus particulièrement sur la question de l’islam. «   Avant, l’extrême droite jouait sur l’antisémitisme. Elle a compris qu’elle ne gagnerait pas des points avec ça. Alors, elle se concentre sur la peur des étrangers, des demandeurs d’asile et de l’islam   », résume Ali Moradi. «   Avec ce qui se passe dans le monde, les gens ont peur et ça fonctionne.   » La nouvelle vague de xénophobie qui touche l’Allemagne est d’ailleurs multiforme. À côté des manifestations anti-islam, l’Allemagne connaît aussi depuis plusieurs mois une vague de protestations dirigées contre les nouveaux centres d’accueil pour demandeurs d’asile. En 2014, le pays a reçu plus de 200 000 demandes, dont un quart de la part de citoyens syriens. C’est quatre fois plus qu’en 2010. Faute d’infrastructures suffisantes, les communes sont parfois dépassées et installent des foyers provisoires dans des containers, des gymnases ou sous des tentes. Presque chaque nouvelle ouverture de centre s’accompagne de manifestations contre l’arrivée des réfugiés.

« Ce qui se passe en ce moment n’est pas bon, déplore In Am Sayad Mahmood. Ce qu’on entend des gens qui participent aux manifestations de Pegida, c’est qu’ils ne sont pas satisfaits de leurs représentants politiques, de leurs conditions sociales, ne se sentent pas écoutés, se sentent discriminés. Mais ils désignent des boucs émissaires : les étrangers et les musulmans. L’islamisation, ce n’est pas en Allemagne que ça représente un danger. C’est la peur qui menace ici. C’est elle qui divise la société.   »

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