Départementales : Un scrutin hors normes

Marquée par les enjeux nationaux, l’élection du 22 mars s’annonce catastrophique pour les socialistes isolés. Dans le tripartisme qui se dessine, l’autre gauche cherche sa voie.

Michel Soudais  • 19 mars 2015 abonné·es
Départementales : Un scrutin hors normes
© Photo : AFP PHOTO / FREDERICK FLORIN

Scrutin local, enjeu national. Rarement cette formule ne s’est autant appliquée à une élection locale, une des plus anciennes puisqu’elle est issue de la Révolution. Le caractère local des élections départementales, nouvelle dénomination de nos vieilles élections cantonales, n’est pas contestable. Il s’agit d’élire des représentants au conseil départemental, une instance aux compétences très concrètes, touchant à la vie quotidienne, et encore dotée de budgets importants. Mais le changement de mode de scrutin et le contexte politique confèrent à ce scrutin une indéniable dimension nationale. Plusieurs facteurs se conjuguent en effet pour faire du rendez-vous électoral des 22 et 29 mars un scrutin hors normes. D’abord, un mode électif inédit, qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde : inventé par Manuel Valls, alors ministre de l’Intérieur. Pour assurer la parité, il instaure l’élection d’un binôme femme-homme avec pour chacun des candidats un remplaçant de son sexe, lequel, en cas de démission ou de décès, sera amené à siéger. Ensuite, la création de nouveaux cantons plus grands pour tenir compte au mieux de la répartition de la population et conserver le même nombre d’élus qu’avant l’invention des binômes. Or, non seulement ces innovations n’ont guère été détaillées avant ces derniers jours, mais, jusqu’en septembre 2014, il était encore question d’élire les conseillers départementaux en décembre 2015, soit en même temps que les conseillers régionaux. La date du scrutin n’a été confirmée officiellement qu’en décembre dernier et les dernières décisions du Conseil d’État sur les recours intentés contre le nouveau découpage cantonal – près de 2 000 – ont été rendues il y a tout juste quelques semaines. Enfin, dernière nouveauté de nature à nationaliser le scrutin : l’élection des conseillers départementaux se déroule le même jour sur tout le territoire (sauf à Paris et dans la métropole de Lyon), le renouvellement par moitié des départements tous les trois ans ayant été abandonné. Si le Parti socialiste a imaginé un jour que ce nouveau scrutin pourrait lui être favorable, c’est raté. Avec une abstention annoncée autour de 55 %, touchant davantage l’électorat de gauche, ces élections s’annoncent, un an après la raclée des municipales, comme une nouvelle défaite pour la majorité gouvernementale. Seule son ampleur demeure inconnue, car dans tous les sondages le PS arrive en troisième position, loin derrière le FN et l’UMP. Ainsi, en raison de ce nouveau mode de scrutin qui impose de recueillir 12,5 % des inscrits pour se maintenir au second tour (une barre que l’abstention rend difficile à passer), les socialistes pourraient être éliminés dès le premier tour dans un quart des 2 054 cantons. Le parti de Jean-Christophe Cambadelis joue là sa survie.

Combien de départements conservera-t-il ? Sur les 50 qu’il dirige en métropole, une quinzaine, gagnés de justesse sur la droite en 2011 (l’Ain, l’Aisne, les Deux-Sèvres, la Seine-et-Marne, le Territoire de Belfort…), sont d’ores et déjà considérés comme perdus, et une quinzaine d’autres seulement (Ariège, Aude, Côtes-d’Armor, Creuse, Finistère, Landes…) sont réputés sûrs. C’est dire l’étendue possible des pertes, qui se traduiraient comme aux municipales par des centaines de licenciements de collaborateurs, fragilisant un peu plus l’armature militante du PS. Même la Corrèze, chère à François Hollande, l’Essonne et la Seine-Saint-Denis pourraient basculer. Sur la dizaine d’autres départements présidés par des « divers gauche » et des communistes, en alliance avec les socialistes, les prévisions ne sont pas plus optimistes. Cinq devraient être sauvés, ce qui n’est pas le cas de l’Allier (PCF), le sort du Tarn-et-Garonne, des Bouches-du-Rhône, du Val-de-Marne et de La Réunion étant incertains.

Les dirigeants socialistes accusent déjà « la division de la gauche » d’être responsable de cette défaite annoncée. Le premier secrétaire du PS y voit un « suicide politique en direct », qu’il juge « incompréhensible » alors que rassemblée « la gauche serait devant le Front national ». Les reproches socialistes se tournent principalement vers les partenaires écologistes, qui ont choisi dans seulement 20 % des cas de s’allier au PS au premier tour, lui préférant souvent le Front de gauche. Toutefois, les sorties de Manuel Valls, pour tenter de rallier l’électorat de gauche en agitant l’épouvantail FN, irritent autant les écologistes que le Front de gauche. Europe Écologie-Les Verts (EELV) a dénoncé lundi le discours du PS sur « le vote utile », rappelant que les écologistes se sont retirés dans 630 des 1 048 cantons où le FN est annoncé à plus de 25 %. « Dans combien de cantons avez-vous fait la même chose ? », a lancé aux socialistes David Cormand, son secrétaire national chargé des élections, qui se demande « pourquoi la charge du rassemblement et de l’unité serait toujours à faire peser uniquement sur l’épaule des partenaires ». EELV, qui présente des candidats dans 950 cantons, est associé dans 43 % des cas avec au moins une composante du Front de gauche. Une victoire de ces candidatures serait une pierre supplémentaire à l’édifice de Cécile Duflot, qui veut « œuvrer » à l’émergence « d’une nouvelle force politique ». Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, voit aussi dans les élections départementales l’occasion de « donner de la force  […] à cette nouvelle gauche qui est en train d’émerger ». Ce que l’élection de dimanche devrait surtout consacrer, c’est l’entrée de notre pays dans l’ère du tripartisme. Avec des conséquences inconnues. Même si l’UMP, qui fait cause commune avec l’UDI, devrait sortir première en nombre d’élus et de départements, le Front national, s’il confirme les 30 % d’intentions de vote que lui prédisent les sondages, apparaîtra comme le grand vainqueur du scrutin. Au-delà d’un gain de départements (l’Aisne, peut-être le Vaucluse), peu probable en l’absence de majorité absolue, le FN espère surtout élargir son cortège d’élus, alors qu’il ne dispose que de deux sortants, pour se placer en pole position pour 2017. Et jouer les trouble-fête lors du « troisième tour », celui où les conseillers départementaux éliront leur président.

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