La convergence des colères

Avec Valls, l’état d’urgence, c’est tout le temps et partout. Voudrait-il causer la perte du candidat Hollande qu’il ne s’y prendrait pas mieux.

Denis Sieffert  • 2 mars 2016
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La convergence des colères
© Photo : VERONIQUE PHITOUSSI / Citizenside / AFP

On peut s’interroger sur la stratégie de François Hollande et de Manuel Valls – à supposer que ce soit la même. Les deux têtes de l’exécutif prennent comme un malin plaisir à allumer des mèches un peu partout dans un paysage social déjà transformé en champ de bataille. À croire qu’ils ont de la popularité à revendre. Ils se créent des problèmes tout seuls, comme l’affaire de la déchéance de la nationalité, qui ne va pas tarder à revenir dans l’actualité ; et ce projet de loi El Khomri, dont la violence antisociale blesse toute l’histoire de la gauche. Et encore l’interminable feuilleton Notre-Dame-des-Landes, dont on ne semble pas se lasser en haut lieu, puisque nous voilà maintenant dans un débat sur le « périmètre du référendum ». Et puis, il y a les conflits que leur impose une époque tragique, mais que Hollande et Valls gèrent avec tant de maladresse et de brutalité que l’on finit par croire qu’ils les ont inventés. Voir l’inhumanité de leur traitement du drame des réfugiés. Ou les réponses dérisoires apportées à la détresse des éleveurs, quand on accorde quelques exonérations de charges pour ne surtout pas s’attaquer au système.

Et, comme si tout cela ne suffisait pas, voilà Ségolène Royal, qui, quelques jours après avoir hérité de la présidence de la COP 21, annonce, sans crier gare, son intention de reporter de dix ans la fermeture des centrales nucléaires. Encore un peu de braise incandescente sur le chemin de la présidentielle de 2017… Et une nouvelle rebuffade infligée aux écologistes après le débauchage d’Emmanuelle Cosse. Il y faut ajouter le style. Les atermoiements du Président et les « provocs » du Premier ministre. Tantôt celui-ci critique violemment Angela Merkel pour sa politique d’accueil des réfugiés ; tantôt il promet le 49-3 aux députés de sa majorité avant même l’amorce d’un débat sur le projet de loi travail…

Avec lui, l’état d’urgence, c’est tout le temps et partout, jusque dans l’hémicycle. Voudrait-il causer la perte du candidat Hollande qu’il ne s’y prendrait pas mieux. On ne peut donc que s’interroger sur les buts poursuivis. François Hollande, d’abord. A-t-il déjà fait son deuil de 2017 ? Veut-il, à la manière d’un Gerhard Schröder, accéder à la postérité après avoir été celui qui a libéralisé notre économie en liquidant les acquis sociaux ? Il y a quelques ressemblances avec le chancelier allemand du début des années 2000 qui, élu sur un programme de gauche, fit une politique de droite, avant de se lancer dans les affaires. Après tout, il n’y a pas de sotte postérité.

Quant à Manuel Valls, il poursuit un chemin entamé avec la primaire de 2011. On se souvient de son discours ultra-droitier. Il semble tabler plus que jamais sur une vaste recomposition qui passerait par la liquidation du Parti socialiste. Au fond, nul ne peut lui faire grief d’être ce qu’il est : un homme politique de droite. On peut lui reprocher en revanche de continuer de revendiquer son appartenance à la gauche. Plus personne d’ailleurs ne s’étonne que le projet de loi El Khomri, concocté par un ancien conseiller de Sarkozy, et revu et corrigé à Matignon, reçoive le soutien spectaculaire du Medef. En d’autres temps, on aurait comparé la signature de Pierre Gattaz en tête d’une telle pétition au baiser de Judas. Le bon apôtre qui par une fausse marque d’affection désigna Jésus à ses bourreaux. Mais nous n’en sommes plus là.

L’entente cordiale entre le Premier ministre socialiste et le patron des patrons nous semble désormais la chose la plus naturelle du monde. Si bien que les critiques adressées à la politique gouvernementale reposent sur une double argumentation : économique et sociale, sur le fond, mais aussi morale et démocratique, parce qu’elle est menée au nom de la gauche. C’est le sens de la violente diatribe de Martine Aubry. Son « trop, c’est trop ! » est le cri de colère d’une social-démocrate à l’ancienne.

Lorsque Michel Sapin lui réclame de ne pas « diviser son camp », on se demande de quel camp il s’agit alors que le projet gouvernemental qui est au cœur du débat est soutenu par la droite et le Medef. Mais on connaît la maire de Lille. La rudesse de sa critique ne sera suivie d’aucun effet. Si Manuel Valls a dû opérer un pas de retrait en reportant de deux semaines la présentation de la loi El Khomri au Conseil des ministres, c’est plus parce que la pétition lancée par Caroline De Haas pour le retrait du projet approche le million de signatures que parce que les aubrystes brandissent la terrible menace de quitter les instances dirigeantes du PS… Quoi qu’il en soit, le gouvernement est aujourd’hui confronté à un risque majeur : la convergence des colères. Le 9 mars, la jeunesse sera dans la rue. Et la suite est incertaine. François Hollande et Manuel Valls comptent évidemment sur la CFDT pour désamorcer la mobilisation. Tout ça est un peu cousu de fil blanc. Pas sûr pourtant que quelques amendements suffisent. Et puis, Manuel Valls est là pour, le cas échéant, violenter le débat. En fin stratège.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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