Pédagogie de l’antiracisme

Dans un ouvrage collectif, l’UJFP fait entendre une « parole juive » contre tous les racismes, sans esquiver les sujets sensibles.

Denis Sieffert  • 20 avril 2016
Partager :
Pédagogie de l’antiracisme
© AHMAD GHARABLI/AFP

On a appris à se méfier des vade-mecum de l’antiracisme, pas toujours dénués d’arrière-pensées, et versant souvent dans la concurrence des racismes. Le petit ouvrage collectif publié récemment par l’Union juive française pour la paix (UJFP) n’en est que plus utile. D’emblée, l’intention est affichée : « C’est du racisme dont nous voulons parler, pas seulement de sa variante antisémite. » Les auteurs rappellent qu’évidemment « le souvenir des persécutions et du génocide juif […] incite à une vigilance particulière ». Mais c’est pour immédiatement constater qu’aujourd’hui « les principales victimes du racisme ne sont plus les juifs ».

Illustrant ce parti pris d’universalisme, les auteurs proposent une véritable pédagogie de l’antiracisme. Les races existent-elles ? Sur quels préjugés pseudo-scientifiques reposent-elles ? À quoi ont-elles servi dans le discours politique ? De Gobineau à Vacher de Lapouge, les auteurs analysent l’histoire des théories qui ont prétendu hiérarchiser les humains pour justifier la domination coloniale. Ils montrent comment les arguments du déterminisme biologique ont peu à peu été réfutés par la science. Ils retracent une véritable histoire du « rejet des autres ».

L’autre, c’est d’abord le « barbare », au sens premier du terme, le « non-Grec », qui devient très vite le « non-civilisé ». Car le racisme est bien antérieur à la fabrication du concept de race. De tout temps, les mouvements migratoires ont donné lieu à des phénomènes de rejet plus ou moins théorisés. Histoire des « rumeurs », histoire du « racisme d’État », histoire des « idéologies de la pureté » : tout est analysé en de remarquables synthèses.

Mais, bien sûr, le lecteur attendra surtout les auteurs sur les sujets sensibles. Ils ne sont pas esquivés. La République, la laïcité, par exemple, sont interrogées dans leur principe, mais aussi dans les usages détournés dont l’extrême droite n’a hélas pas l’exclusivité. Les pages consacrées à l’islamophobie, à la théorie du complot, à l’homophobie, au racisme anti-Roms ou au passage de la judéophobie à l’antisémitisme mériteraient d’être lues dans les écoles.

Mais ne rêvons pas ! Ce n’est pas vraiment la doctrine officielle du gouvernement qui est exposée ici. Ainsi, définir le sionisme pour ce qu’il est, c’est-à-dire un « mouvement colonial […] niant l’existence des Palestiniens » et créant « une société raciste et discriminatoire », est devenu une preuve d’audace. Comme il est courageux de rappeler que l’antisionisme « peut aussi offrir à des antisémites un déguisement opportun à partir de l’amalgame juifs égale sionistes ». Les auteurs renvoient ici utilement à l’ouvrage de Pierre Stambul Le Sionisme en questions (Acratie, 2004). Au fond, on ne sort jamais de cette idée qui sert de fil conducteur à l’UJFP : le racisme est une théorie de la domination sociale. Un livre à mettre entre toutes les mains.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas
L’insurrection douce, vivre sans l’État
Idées 4 juin 2025 abonné·es

L’insurrection douce, vivre sans l’État

Collectifs de vie, coopératives agricoles, expériences solidaires… Les initiatives se multiplient pour mener sa vie de façon autonome, à l’écart du système capitaliste. Juliette Duquesne est partie à leur rencontre.
Par François Rulier
Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »
Entretien 4 juin 2025 abonné·es

Isabelle Cambourakis : « On ne pourra plus revenir à une édition sans publications féministes »

Il y a dix ans, les éditions Cambourakis créaient la collection « Sorcières » pour donner une place aux textes féministes, écologistes, anticapitalistes écrits dans les années 1970 et 1980. Retour sur cette décennie d’effervescence intellectuelle et militante avec la directrice de cette collection.
Par Vanina Delmas
« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »
Entretien 27 mai 2025 abonné·es

« Si ArcelorMittal tombe, c’est l’ensemble de l’industrie française qui tombe »

Alors qu’ArcelorMittal a annoncé un vaste plan de suppressions de postes, la CGT a décidé d’entamer une « guerre » pour préserver les emplois et éviter le départ du producteur d’acier de l’Hexagone. Reynald Quaegebeur et Gaëtan Lecocq, deux élus du premier syndicat de l’entreprise, appellent les politiques à envisager sérieusement une nationalisation.
Par Pierre Jequier-Zalc