Déesse noire et monstres blancs

Nelson-Rafaell Madel, jeune metteur en scène martiniquais, montre une rencontre hallucinée entre Afrique et Occident.

Anaïs Heluin  • 19 octobre 2016 abonné·es
Déesse noire et monstres blancs
© Photo : Damie Richard

Depuis 2009, le Prix Théâtre 13/Jeunes -metteurs en scène permet à de jeunes artistes de bénéficier pendant un an de -l’accompagnement de la structure et du regard de professionnels. Une aide précieuse, au terme de laquelle six projets sélectionnés sont présentés en juin au public du Théâtre 13, à Paris, et au jury.

Si la dernière édition a été marquée par une majorité d’auteurs metteurs en scène, le prix du jury est revenu à Erzuli Dahomey, déesse de l’amour,de Jean-René Lemoine, mis en scène par -Nelson-Rafaell Madel. Quasiment inconnu sur les scènes françaises, cet artiste d’origine martiniquaise a vu dans ce concours réservé aux 25-35 ans l’occasion de montrer son travail en métropole. Et il a eu bien raison. Repris pour dix représentations, son spectacle révèle une maturité et une singularité dont manquaient les autres propositions, inspirées pour beaucoup des écritures de plateau ou collectives.

Après avoir monté P’tite souillure,de Koffi Kwahulé, et Nous étions assis sur le rivage du monde,de José Pliya, -Nelson-Rafaell Madel poursuit son ouvrage autour d’écritures francophones représentatives de la diversité culturelle de la société française. Chose trop rare, comme le déplore le collectif Décoloniser les arts (voir Politis n° 1402).

Entrée au répertoire de la Comédie-Française en 2012, la pièce du dramaturge haïtien Jean-René Lemoine se situe à Villeneuve. Une petite ville de province française, où Victoire Maison vit avec sa bonne, Fanta, le père Denis et ses enfants, les jumeaux Frantz et Sissi. Tout le monde s’y ennuie. Surtout lorsque les coupures de courant empêchent de suivre à la télé les funérailles de Lady Di. Jusqu’au jour où tombe la nouvelle de la mort du fils aîné au Mexique, qui, pour des raisons kafkaïennes, déclenche l’irruption de Félicité, tout droit venue de Gorée afin de retrouver le fantôme de son fils égaré à Villeneuve.

Dans une semi-obscurité qu’une ampoule accrochée au plafond ne parvient qu’à rendre un peu plus glauque, Nelson-Rafaell Madel déploie un théâtre de la cruauté qui puise sa force dans un burlesque porté par une superbe distribution. Les nombreux monologues donnent lieu à des pantomimes étranges qui confinent parfois à la transe. Dans le rôle de Fanta, -« chevauchée » par la déesse haïtienne Erzuli Dahomey, qui la pousse à la révolte, Karine Pédurand offre par exemple une impressionnante performance tout en sursauts et en cris. Dans ce « mélodrame d’exilés », comme le nomme Madel, les monstres blancs côtoient des caricatures noires. Mais, en chacun, il y a une brèche. Un petit filet d’humanité.

Erzuli Dahomey, déesse de l’amour, de Jean-René Lemoine, au Théâtre 13, Paris XIIIe, jusqu’au 23 octobre. www.theatre13.com

Théâtre
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