Georgio : « Écouter ses rêves, provoquer sa chance »

Jeune figure d’un rap remarquablement écrit, « ni gangster ni drôle », Georgio a fait de la musique un métier. Au bout de ses désirs et de ses obstinations.

Jean-Claude Renard  • 21 décembre 2016 abonné·es
Georgio : « Écouter ses rêves, provoquer sa chance »
© N’Kruma

_« D__ans le cimetière de ma jeunesse/J’ai laissé des amis, des rêves et des promesses/J’ai abandonné des larmes et des cris de joie/Pour bâtir mon monde avec mon cœur du bout de mes dix doigts. »_ Extraits de son nouvel album, _Héra_, voilà des vers qui ne mâchent pas leurs mots. Un album de rap scandé, martelé, incisif, contrastant furieusement avec la douceur (intranquille) de son auteur, compositeur et interprète. Du haut de son mètre quatre-vingts facile, élancé, et de ses 23 ans, Georgio a déjà un présent bien rempli et un passé derrière lui.

Au présent, il peut savourer une tournée au Québec et le succès de ce deuxième album, après Bleu Noir (en 2015), vendu à plus de 20 000 exemplaires. À écouter ses titres, on relève une constante chez ce jeune rappeur : le goût des pas de côté, qui l’entraîne parfois vers la chanson française ou la pop, et une écriture ciselée.

Rien d’étonnant alors quand, avalant un tartare de bœuf, il parle de son admiration pour Petit pays, de Gaël Faye, de Van Gogh, le suicidé de la société, d’Antonin Artaud, du Loup des steppes, d’Hermann Hesse, et de Louis-Ferdinand Céline, dont il est « ouf » ! « J’ai vu tous les documentaires qui lui ont été consacrés, regardé ses entretiens, aimé ses romans. Voyage au bout de la nuit_, parce qu’on voyage vraiment beaucoup, et_ Mort à crédit pour son récital de violence. Le personnage me fascine, un peu comme Romain Gary… Mais, précise-t-il, la littérature et moi, c’est très récent. Ça m’ouvre à un imaginaire, là où tout est possible. » Il y a dix ans, on n’aurait guère parié sur cette exigence littéraire. Surtout pas ses professeurs.

Né aux Lilas (Seine-Saint-Denis), d’un père compositeur de musiques de pub puis chef d’entreprise dans la vidéo et d’une mère au foyer devenue psychologue, le petit Georges (c’est son vrai prénom) a longtemps vécu dans le XVIIIe arrondissement parisien, entre la rue Marx-Dormoy et le boulevard de la Chapelle. C’est là qu’il use ses frocs, mais pas vraiment sur les bancs de l’école. « Je reconnais avoir eu une scolarité… chaotique, on va dire ! » En effet, il se détourne des cours en classe de quatrième, mais passe sans encombres son brevet des collèges en candidat libre, rempile en seconde, le temps d’un trimestre, pas plus, avant de choisir un bac pro « vente », « le bac le plus facile pour ne pas être emmerdé. Je savais que ma vie était ailleurs. Et je n’aime pas me forcer ». De fait, il n’ira pas jusqu’au bac.

Ce n’est pas que l’élève Georges ne veuille rien faire. Il sait surtout ce qu’il ne veut pas faire. « J’étais en guerre avec mes parents, il était hors de question que je retourne en classe. Du coup, je me suis tapé les éducateurs, les psychologues, les assistantes sociales. Ils ont tous fini par céder. Quand j’ai une idée en tête, je vais jusqu’au bout, jusqu’à sa réussite. » Son idée en tête, sa marotte, c’est le rap. Si son père est féru de rock et de punk, lui est influencé par son entourage et l’atmosphère de son quartier populaire, pleinement versé dans le rap. « C’est ce qu’on écoutait entre nous. Mais je suis un solitaire, je n’ai guère traîné dans la rue, je suis un casanier à la base. J’ai donc travaillé ma musique et mes textes chez moi, seul, enfermé. » C’est d’autant plus facile pour lui que tous ses potes sont en cours.

En 2015, pour son premier grand album, Bleu Noir, après quelques titres sur Internet (À l’abri ; Soleil d’hiver), il se lance dans une campagne de financement participatif. « Toutes les maisons de disques s’intéressaient à moi mais traînaient pour sortir un contrat. Or, un artiste en développement ne peut pas se permettre d’attendre dix ans ! On a besoin de produire, ce que j’ai fait seul, comme je l’ai voulu. J’étais mon propre patron. »

Si les premiers textes sont sombres et mélancoliques, voire torturés, Héra, cerné de piano et de guitare, se veut plus léger. Comme si le jeune artiste s’était affranchi de ses démons. Il admet : « La dépression, on a vite fait de s’y enfermer, de s’y complaire. » Quoique toujours sujet à quelques phases de déprime, il aime maintenant à raconter des histoires. « Promis, j’arrête d’idéaliser mes obscurités », clame-t-il. Mais sans rien abandonner de ses colères, de ses doutes sur les amitiés perdues et de ses contestations mêlées d’inquiétudes. Quelques titres de chanson en témoignent : « No Future » ; « Brûle » ; « La Vue du sang » ; « Ici-bas »… On n’est vraiment pas là dans l’insouciance de la jeunesse.

« J’ai grandi dans la défiance, dans la conscience des réalités, je sais dans quel monde on vit. En même temps, je ne lâche rien. » Tel est le message adressé à son public (entre 15 et 25 ans), dans la presque injonction. Obstiné dans ses idées et ses projets, Georgio, assurément. « C’est ce que je reproche à ma génération, de ne pas s’écouter suffisamment, déplore-t-il. Combien de mon âge font des études uniquement pour plaire à leurs parents ? Des parents qui ont un modèle de réussite qui n’est plus valable aujourd’hui parce qu’on n’est plus dans la sécurité de l’emploi. Qui taffe à 25 ans ? Finalement, on voit des passionnés de cuisine qui se tapent la fac au lieu de se contenter d’un BEP hôtellerie, tout ça parce qu’on leur dit de poursuivre des études… Je ne suis pas un modèle, il y a un facteur chance, mais cette chance, faut la provoquer. J’ai l’impression que notre jeunesse n’écoute plus ses rêves, qu’elle est repliée sur ses peurs. On étouffe de l’insécurité. Ça manque d’exigence. »

Exigence et liberté, c’est aussi ce qui l’a conduit à signer Héra chez un petit label, Panenka. « Les grosses boîtes comme Universal ne comprennent pas mon projet, qui n’est ni du rap de gangster, ni un rap drôle. Ils n’avaient pas de modèle de réussite devant mon travail et ne prennent aucun risque. Ils s’intéressent à toi quand tu n’as plus besoin d’eux ! Je me demande bien ce qu’ils pourraient m’apporter aujourd’hui. Je fais mes tournées et l’Olympia tout seul. » Maintenant, il ne compte pas s’arrêter là. « J’ai envie de remplir plus de salles, c’est un rêve infini. C’est aussi ce que je veux dire à mon public : écoutez-vous ! » Rendez-vous donc le 24 mars à l’Olympia.

Société
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