À Besançon, la « séquestration » du conseil d’administration par les étudiants fait du bruit

Une mobilisation contre la sélection en master à l’université de Franche-Comté s’est soldée par des gardes à vue. Si l’action a été présentée par la faculté et les médias comme une « séquestration », la vérité est plus complexe.

Malika Butzbach  • 16 février 2017 abonné·es
À Besançon, la « séquestration » du conseil d’administration par les étudiants fait du bruit
© Photo : SÉBASTIEN BOZON / AFP

Dix-neuf d’étudiants ont été placés en garde à vue mardi soir, accusés d’avoir « séquestré » les membres du conseil d’administration (CA) de l’université de Franche-Comté, alors qu’ils se mobilisaient contre la sélection en master. Jeudi 16 février, ils sont tous libres… après 48 heures de garde à vue pour deux d’entre eux. « On ne comprend pas : on nous a gardés au poste pour quelque chose que l’on n’a pas fait », réagit une étudiante à sa sortie du commissariat. Les journaux et la présidence de l’université de Franche-Comté, notamment le président Jacques Bahi, parle de « séquestration » par des étudiants « masqués » et dénonce des violences « physiques et psychologiques ».

« C’est n’importe quoi cette campagne de désinformation », s’insurge Corentin Lahu, étudiant et membre de l’Ameb (Association multiculturelle des étudiants de Besançon)-Solidaires Étudiant-e-s, syndicat à l’origine de la mobilisation. « C’était une occupation bon enfant. Deux des personnes avaient le visage « masqué » par une photo du président de l’université. L’action était pacifique et symbolique. » Ce que confirment certains élus du CA, comme Marie-Pascale Behra, membre CGT au conseil, qui en rigole :

Quelques-uns portaient un masque à l’effigie du président de l’université, Jacques Bahi. La vice-présidente a dit à l’un d’eux : « C’est bon, on t’a reconnu, enlève ton masque. » C’est une petite université, tout le monde se connaît.

Le but de l’occupation était de reporter le vote sur la sélection en master, que l’Ameb dénonce comme « un processus de libéralisation de l’enseignement supérieur ». Les étudiants ont lu leur motion, expliquant leurs arguments, et ont demandé notamment l’ouverture d’une réunion publique d’information sur cette loi, adoptée le 23 novembre 2016.

Un répression « violente » et « brutale »

Au bout de deux heures, lorsque les étudiants décident d’arrêter l’occupation, les policiers, appelés par le président de l’université, les retiennent : ils leur demandent de sortir un par un pour les arrêter. Les jeunes refusent et se regroupent dans un coin de la salle, formant une chaîne. Emma Audrey, journaliste à Radio BIP, un média local associatif, a filmé la scène de l’extérieur. « On voit que les forces de l’ordre entrent violemment dans la salle et poussent les jeunes contre le mur avec leurs boucliers afin de les extraire un par un et casser la chaîne. Ils ont utilisé la méthode du plaquage ventral pour les menotter dans le dos avant de les sortir violemment de la salle. » Les témoins sont sidérés, notamment l’élue Unef qui, au micro de Radio Bip, s’étonne : « Il y a deux mois, c’étaient nous qui bloquions le CA pour protester contre le manque de moyens à l’université. Cette intervention policière nous choque d’autant plus que ça ne s’était pas passé comme ça pour nous. » La journaliste Emma Audrey abonde :

Ce qui me surprend, c’est que la présidence de l’université a inversé la situation. Elle parle de violences et dit que les membres du CA ont été terrorisés, mais, au vu des témoignages et des vidéos, ce n’est pas l’occupation des étudiants qui les a choqués : c’est l’intervention brutale des policiers.

Jusqu’à cinq ans de prison

La notion de séquestration fait débat. Si Jacques Bahi a déclaré qu’il allait porter plainte pour cela, certains témoins réfutent cette accusation et soulignent le caractère pacifique de l’occupation. « On discutait en attendant de sortir, car on avait signé la feuille d’émargement et le CA n’était pas levé, explique Marie-Pascale Behra. Je pense que personne ne s’est senti séquestré, on a papoté en buvant du café et en grignotant. Peut-être que l’équipe de la présidence n’a pas vécu ça très bien, car ils n’ont pas pu tenir leur conseil. Après, je sais que mes propos peuvent être minorés car je suis élue CGT mais, étant fonctionnaire à l’université, je ne prendrai pas le risque de mentir là-dessus. » Pour la procureure de la République, Edwige Roux-Morizot, le débat n’a pas lieu d’être et les étudiants encourent jusqu’à cinq ans de prison. « Lors de la conférence de presse, elle a martelé le mot “séquestration” presque 100 fois en 20 minutes… », note la journaliste de Radio Bip.

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